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Collection Série noire

Collection presque anecdotique à la Libération, la «Série noire» est vite devenue LA référence d'une certaine manière de voir le monde à travers le polar. Du roman policier américain, puis français, à une littérature noire aujourd'hui sans frontières, rapide évocation d'une longue saga depuis longtemps entrée dans la légende...

Création : 1945
Nombre de titres parus : 2904

Les deux premiers titres :
Peter Cheyney, La Môme vert-de-gris et Cet homme est dangereux (septembre 1945)

Toutes les parutions

«Que le lecteur non prévenu se méfie : les volumes de la "Série noire" ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L'amateur d'énigmes à la Sherlock Holmes n'y trouvera pas souvent son compte. L'optimiste systématique non plus. L'immoralité admise en général dans ce genre d'ouvrages uniquement pour servir de repoussoir à la moralité conventionnelle, y est chez elle tout autant que les beaux sentiments, voire de l'amoralité tout court. L'esprit en est rarement conformiste. On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu'ils poursuivent. Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n'y a pas de mystère. Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?... Alors il reste de l'action, de l'angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre. Comme dans les bons films, les états d'âmes se traduisent par des gestes, et les lecteurs friands de littérature introspective devront se livrer à la gymnastique inverse. Il y a aussi de l'amour — préférablement bestial — de la passion désordonnée, de la haine sans merci. Bref, notre but est fort simple : vous empêcher de dormir.» (Marcel Duhamel, 1948.)

D'hier à aujourd'hui

Paris, été 1944. Les alliés viennent de débarquer en Normandie et la capitale est sur les nerfs lorsque Marcel Duhamel, traducteur de Steinbeck ou d'Hemingway (entre autres) et agent pour Gallimard, sort de chez l'auteur dramatique Marcel Achard avec trois bouquins que ce dernier vient de lui confier : This man is dangerous et Poison Ivy de Peter Cheyney, et No orchids for miss Blandish d'un certain James Hadley Chase. Alors que l'histoire avec un grand H est en train de basculer, un piéton anonyme, dans une ville au bord de l'insurrection, tient sous le bras les trois premiers romans d'une longue saga qui va profondément et durablement marquer la littérature. Les plus belles aventures tiennent souvent à de dérisoires concours de circonstances... Un an plus tard, en septembre 1945, le public français découvre une nouvelle collection à travers ses deux premiers titres, La Môme vert-de-gris (titre français de Poison Ivy) et Cet homme est dangereux, les deux polars de Cheyney : la « Série noire » est née et personne ne se doute que soixante-dix ans plus tard, plus de 2 880 romans (dont plusieurs quintaux de chef-d'œuvres !) hanteront les nuits blanches de centaines de milliers de lecteurs. Les débuts sont difficiles et tiennent plus du bricolage que d'autre chose. Reposant sur la seule personne de Marcel Duhamel (alors occupé par mille autres activités), la « Série noire » s'offre un long tour de chauffe et ne publie que six titres en trois ans, malgré des chiffres de vente plus qu'honorables et un enthousiasme sans cesse croissant. La France de l'après-guerre se passionne pour ces romans américains d'un genre nouveau, bruts de décoffrage, et pour les films noirs qu'ils inspirent désormais, du côté d'Hollywood. Il est grand temps de passer à la vitesse supérieure. En 1948, sous l'impulsion de Claude Gallimard, Marcel Duhamel se retrouve enfin à la tête d'une vraie collection de livres cartonnés jaune et noir, recouverts de la mythique jaquette noire et blanche, tirages renforcés (20 puis 30 000 exemplaires), cadence infernale (deux romans par mois, autant dire beaucoup pour l'époque) et surtout traduction d'auteurs de tout premier plan (à commencer par l'immense Chandler)… La « Série noire » devient une formidable machine a distribuer des pains et à broyer du noir. Les choses sérieuses commencent.

Exit les enquêtes alambiquées basées sur une subtile déduction, le tout emballé dans un langage de bon ton. Le nouveau roman policier popularisé par la « Série noire » parle la langue de la rue et des truands, et dessine les contours d'un univers où action rime avec gnon, pognon, politiciens marron ou... Bourbon glaçons. À Tombeau ouvert (Fast One, édité en 1949), du californien Paul Cain, violente peinture au couteau de l'univers des politiciens gangsters de la Côte Ouest durant les années 1930, représente à lui seul le modèle du genre de romans « hard-boiled » que Marcel Duhamel compte désormais développer dans sa collection. D'autant que, de l'autre côté de l'Atlantique, sous l'influence des « géants » de cette époque (Raymond Chandler, Horace McCoy, Don Tracy, William Riley Burnett ou Dashiell Hammett), toute une nouvelle génération de jeunes auteurs trempe déjà sa plume dans la poudre et le mercurochrome... Très vite, certains d'entre eux transcenderont le genre strict du polar pour esquisser les contours d'une écriture originale dont l'influence sur toute la littérature de la seconde partie du siècle (et jusqu'à aujourd'hui) sera considérable.
Dès le début des années cinquante, Marcel Duhamel se retrouve à la tête d'une véritable équipe qui doit écluser prés d'une centaine de manuscrits tous les mois pour trier le grain (de purs chef-d'œuvres) de l'ivraie (une production américaine de « pulps » aussi gigantesque que médiocre). Dans les années qui suivent, un public français de plus en plus nombreux découvre de nouveaux noms, et non des moindres : Jim Thompson, Kenneth Millar, le taciturne David Goodis, le prolixe Carter Brown ou, quelque temps plus tard, le délirant Donald Westlake, prennent petit à petit la place des premiers classiques. Les initiés commencent à suivre les aventures des flics du 87e District d'Isola (une ville qui ressemble comme deux gouttes de béton à New York), à travers la grande saga d'Ed McBain. Mais c'est est un ex-taulard Black americain exilé à Paris qui, en 1958, crée la surprise et bouleverse une fois de plus toutes les règles du polar : Chester Himes, avec La Reine des pommes donne à la « Série noire » de nouvelles lettres de noblesse et prouve une fois de plus que la différence entre le genre policier et la littérature tout court n'est parfois pas plus épaisse que le papier d'une cigarette américaine au filtre maculé de rouge à lèvres (dans une courte note enflammée, Jean Giono n'hésitera d'ailleurs pas à comparer le créateur de Ed Cercueil et Fossoyeur à Steinbeck, Dos Passos et Hemingway !). La « Série noire » est devenue une véritable institution.

Si la « Série noire » devient vite la référence du nouveau roman noir américain et publie dès ses débuts les meilleurs représentants du genre, les auteurs français ne sont pas en reste de cette véritable révolution littéraire. Dès 1948, sous le pseudo très anglo-saxon de Terry Stewart, Serge Arcouët s'impose comme le premier « local de l'étape ». Il sera rejoint et rattrapé quelques années plus tard par Albert Simonin, dont le Touchez pas au grisbi !, préfacé par Pierre Mac Orlan, s'affiche rapidement comme une des meilleures ventes de la collection. Avec ce premier roman exceptionnel, écrit en argot (et d'ailleurs suivi d'un précieux glossaire qui deviendra en 1968 Le Petit Simonin illustré par l'exemple), cet ex-chauffeur de « rongeur » (de taxi, quoi !) devenu du jour au lendemain auteur de best-sellers ouvre une brèche dans laquelle Jean Amila, Ange Bastiani, Auguste Le Breton, Antoine-Louis Dominique (et sa fameuse saga du Gorille) ou Pierre Lesou (Le Doulos) vont vite s'engouffrer pour former la première d'une longue série de vagues d'écrivains français. 

Désormais, parallèlement à une production américaine en perpétuel renouveau, une école typiquement hexagonale, qui n'aura rien à envier à ses homologues yankees (loin de là), va nerveusement refléter, à travers une œuvre romanesque d'une rare richesse, les tendances et les convulsions de la société française. Elle explosera au lendemain de mai 1968, grâce à Jean-Patrick Manchette (Laissez bronzer les cadavres !, Nada, etc.), pour rapidement envahir le catalogue d'une « Série noire » une fois de plus au cœur de la création littéraire.

À la disparition de Marcel Duhamel, en 1977, son successeur Robert Soulat, parallèlement à de nouvelles grandes signatures venues d'outre-Atlantique (à commencer par Jerome Charyn, dont le premier volume de la trilogie d'lsaac Sidel, Marilyn la dingue, sort cette année-là), accentue encore ce recentrage sur des écrivains « terroir » aux allures de jeunes gens en colère. Une nouvelle génération nettement plus rock'n'roll, élevée au biberon « Série noire » depuis son plus jeune âge, se sert d'un polar complètement transfiguré pour appuyer là où ça fait mal, dans une grande tradition « hard-boiled » revue pour l'occasion Sex Pistols ou Little Bob Story. Tito Topin (Graffiti Rock), Didier Daeninckx (Meurtres pour mémoire) ou Jean-Bernard Pouy (Nous avons brûlé une sainte) durcissent un peu plus le ton d'une « Série noire » qui se veut plus que jamais une collection d'instantanés sur une époque et une société (« les polars/polaroïds », selon la formule de Pouy). La célèbre collection de Gallimard entre dans un nouvel âge d'or. Et — signe des temps — si le numéro 1000 de la collection célébrait un auteur américain vedette (Jim Thompson), le 2000e volume salue un des meilleurs représentants de cette « new wave » française, Thierry Jonquet.

Si depuis déjà belle lurette, grâce à la « Série noire », le polar n'est plus synonyme de littérature de série B, l'arrivée à partir du début des années 1980 d'écrivains américains comme Tony Hillerman (Le Peuple de l'ombre), puis, une décennie après, de Harry Crews (La Foire aux serpents), Nick Tosches (La Religion des ratés) et surtout James Crumley (La Danse de l'ours) lui donne une fois de plus un fabuleux coup de fouet. Malgré le poids des ans, la « Série noire » reste plus que jamais une formidable vitrine pour les grands romanciers venus de Georgie ou du Montana. Pourtant les choses changent. À l'aube des années 1990, Patrick Raynal succède à Robert Soulat et prend le guidon de la grosse cylindrée « Série noire ». Pour la première fois, un auteur de romans noirs est à la tête de cette prestigieuse « maison ». Partagé entre une volonté de solidement enraciner la collection dans son glorieux passé (le grand souffle romanesque américain, emballé dans un noir et blanc « d'époque ») et de la faire évoluer vers des tendances plus actuelles de la littérature de cette fin de siècle, l'auteur de Un tueur les arbres embarque d'emblée la « Série noire » dans de nouvelles aventures. Maurice G. Dantec (un temps élève, puis complice de Pouy à lvry-sur-Seine) fait couler un sang nouveau sur les carrelages de la rue Bottin. La Sirène rouge, paru en 1993, puis Les Racines du mal, énorme pavé sorti deux ans plus tard, révèlent un jeune auteur jonglant avec une œuvre ambitieuse, bien au-delà des simples canons du genre noir. Du côté de Marseille, Jean-Claude lzzo, à travers ses fulgurantes lettres d'amour à sa ville (Total Khéops en 1995, suivi de Chourmo et de Solea) offre au grand public un de ses héros modernes préférés (l'inspecteur Fabio Montale) et décroche, avec ses romans nerveux, imbriqués dans la vie quotidienne de « la planète Mars », un fabuleux succès. Côté étranger, la « Série noire » s'ouvre sur le reste du monde (de l'Albanie au Mexique), sur une planète bleue de plus en plus complexe et riche à mesure qu'elle rétrécit et « s'internette » en un double clic qui fleure bon l'automatique (histoire de souris, encore et toujours !). Une révélation : Allemands (Jürgen Alberts), Finlandais (Matti Yrjänä Joensuu), Italiens (Nicoletta Vallorani), Espagnols (Andreu Martin), Norvégiens (Stig Holmås), Albanais (Virion Graçi) côtoient Chase, Hammett, Chandler ou Burnett sur les étagères encombrées de la collection.

En 2015, dans un monde plastique où le changement semble être la loi, la « dame en jaune » placée sous la responsabilité éditoriale d'Aurélien Masson en 2005, est toujours là, aussi fringante et pleine d'envie qu'à ses débuts. Depuis une décennie et le passage au grand format, la « Série noire » reste fidèle à ce qu'elle a été et continue d'offrir un panorama le plus vaste possible de la littérature noire contemporaine (thriller, roman noir, polar historique ou politique...). Le succès des auteurs comme Caryl Férey (Mapuche), DOA (Citoyen clandestin), Ingrid Astier (Quai des enfers)... nous pousse à croire que le cœur de la collection bat en France. Les auteurs étrangers ne sont cependant pas en reste, avec Jo Nesbø (L'Étoile du diable), Ken Bruen (La Main droite du diable), Marek Krajewski (Les Fantômes de Breslau), Larry Beinhart (Le Bibliothécaire) ou Marcus Sakey (Les Brillants).
Depuis 2017, la collection est dirigée  par Stéfanie Delestré.

Brèves

  • Sur les fonts baptismaux de la « Série noire », il y a deux parrains : Picasso, qui a dessiné la couverture, et Jacques Prévert qui a trouvé le titre.
  • Dès 1945, Raymond Queneau est l'un des premiers à souligner toute l'originalité de cette nouvelle littérature américaine (bien que les deux auteurs auxquels il fasse allusion, Cheyney et Chase, soient anglais et écrivent « à la manière de... ») largement inspirée de Dashiell Hammett et publiée par la « Série noire » : « L'attention de l'auteur et du lecteur n'est plus portée sur l'intrigue, mais sur les personnages qui dessinent cette énigme [...]. La brutalité et l'érotisme ont remplacé les savantes déductions. Le détective ne ramasse plus de cendres de cigarette, mais écrase le nez des témoins à coups de talon. Les bandits sont parfaitement immondes, sadiques et lâches, et toutes les femmes ont des jambes splendides ; elles sont perfides et traîtresses et non moins cruelles que les messieurs. »
  • Faut-il y voir un symbole ou le fruit du hasard ? Les bureaux de la collection policière ont longtemps été installés dans les sous-sol de la rue Sébastien-Bottin.
  • Une Dodge Kingsway est mise en jeu à l'occasion d'un concours organisé par la « Série Noire » en 1984. Elle est remportée par un lecteur de la collection aveugle.
  • En 2005, la « Série noire » adopte un plus grand format. Elle inscrit ainsi ses choix au sein du programme littéraire composé par les différentes collections des Éditions Gallimard.
  • La « Série noire » inaugure en 2015 une nouvelle couverture : retour du liseré blanc, retour des couleurs mythiques noir et jaune, cette nouvelle présentation est comme un pont jeté entre le passé et l’avenir. Elle est aussi là pour nous rappeler que, même si les temps changent comme disait Bob Dylan, certaines choses sont faites pour durer…

Quelques prix

Grand Prix de Littérature policière 2014 : Pur d'Antoine Chainas — Prix Plume de cristal 2013 : L'Expatriée d'Elsa Marpeau — Prix Landerneau Polar 2012 : Mapuche de Caryl Férey — Grand Prix de Littérature policière 2011 : L'Honorable société de DOA et Dominique Manotti — Prix Mystère de la critique 2011 : La Guerre des vanités de Marin Ledun — Prix Paul Féval de la SGDL 2010 : Quai des Enfers d'Ingrid Astier — Prix Polar en plein cœur 2010 : Quai des Enfers d'Ingrid Astier — Prix Lafayette 2010 : Quai des Enfers d'Ingrid Astier — Prix de la Goutte de sang 2010 : Noir Océan de Stefán Máni — Trophée 813 de la littérature policière 2010 : Bien connu des services de police de Dominique Manotti — Grand Prix des Lectrices de Elle 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix SNCF du Polar européen 2009 : Voodoo Land de Nick Stone — Grand Prix du Roman Noir (festival du film policier de Beaune) 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix Amila Meckert/Colère du présent 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix Ancre noire (Festival du Havre) 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix du Roman Noir BibliObs 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix Lion Noir (Festival de Neuilly Plaisance) 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix Mystère de la critique 2009 : Zulu de Cary Férey — Prix Quais du Polar 2009 : Zulu de Cary Férey

Grand Prix de Littérature policière Étranger 2009 : La Main droite du diable de Ken Bruen — Trophée 813 de la littérature policière 2009 : Tranchecaille de Patrick Pécherot — Grand Prix de Littérature policière 2008 : Zulu de Cary Férey — Prix Barry du Meilleur Roman 2008 : Les Feuilles mortes de Thomas H. Cook — Grand Prix de Littérature policière 2006 : Le Bibliothécaire de Larry Beinhart — Prix du Premier Roman Policier 2003 : Horreur boréale d'Åsa Larsson — Grand Prix de la Littérature policière 2001 : Les Brouillards de la butte de Patrick Pecherot — Grand Prix du Roman noir français 2001 : Le Chant du bouc de Chantal Pelletier — Grand prix de l'Imaginaire 1996 : Les Racines du mal de Maurice G. Dantec — Prix Polar & Co 1985 : Nous avons brûlé une sainte de Jean-Bernard Pouy — Grand prix de Littérature policière 1984 : Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx — Prix Paul-Vaillant-Couturier 1984 : Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx — Grand prix de Littérature policière 1958 : La Reine des pommes de Chester Himes — Prix des Deux-Magots 1952 : Touchez pas au grisbi ! d'Albert Simonin

Informations commerciales

Formats : 108 x 178 mm, 125 x 190 mm, 155 x 225 mm.
Prix de vente moyen : 19 €

Les données concernant les ventes, les prix publics (TTC) et les réimpressions sont représentatives des quatre dernières années.

© Éditions Gallimard