Noble clochard, épave magnifique, débordant d'humanité et de générosité, d'une réjouissante immoralité, l'énorme, le truculent Falstaff se morfond dans une auberge de Windsor : il a la nostalgie du temps où il était l'ami des lords qui se disputent aujourd'hui les faveurs de la Reine. En cette fin de règne, l'Angleterre élisabéthaine ressemble furieusement à notre époque : une misère grandissante que masque mal le spectacle du pouvoir, toujours plus brillant et pailleté, toujours plus arrogant. L'esprit boutiquier triomphe, les bourgeois persécutent impunément notre héros ; ses deux derniers fidèles l'abandonnent ; il est ruiné. Qui le sauvera de sa mélancolie, qui le sauvera de lui-même ? Les grands seigneurs corrompus que ses mauvaises blagues amusaient tant jadis ? La belle Alice, qui lui voue un amour si candide, si pur ? Ou Shakespeare en personne, puisque «tout dans ce monde n'est que bouffonnerie» ? Qui lui fera découvrir, en lui, l'autre Falstaff - le personnage de comédie qui, pour nous, incarne l'amour de la vie ?
L'écrivain au sommet de son art - un irrésistible mélange de verve, de gaieté, de virtuosité, de fantaisie, de gravité souriante et d'érudition amusée - nous redit une fois encore, avec brio, avec allégresse, que le roman est, d'abord, une fête.