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Microfictions de Régis Jauffret. Entretien

Rencontre avec Régis Jauffret, à l'occasion de la parution de Microfictions en janvier 2007.

Qu’appelez-vous «microfictions» ?

Régis Jauffret — C’est une tentative de faire rentrer toute la vie d’un homme ou d’une femme dans une goutte d’eau, la goutte d’eau étant cet espace très limité d’une page et demie.
Le livre n’est pas un recueil, au sens où il ne s’agit pas d’histoires écrites auparavant et réunies pour l’occasion. C’est un projet global, qui m’est venu après l’écriture des deux ou trois premiers textes, visant à constituer un bloc de cinq cents histoires qui formeraient un objet appelé roman, rempli de fictions, rempli de personnages. Et ce livre est rempli de personnages jusqu’à la gueule.

Comment imaginez-vous ces histoires ?

Régis Jauffret — Le point de départ, c’est le moment où je vois quelqu’un dans une foule, que ce soit dans la rue, le métro, une réception… Puis, j’imagine sa vie, j’essaye de me mettre autant que possible dans sa tête, un peu comme un spéléologue. J’ai toujours pensé qu’un écrivain était avant tout un acteur, j’ai été un acteur dans ce livre : chaque fois que j’écrivais une histoire, je me sentais comme un comédien qui arriverait sur scène sans avoir ni rôle, ni texte, face à un théâtre plein ! C’est l’impression que j’avais en m’asseyant pour écrire : d’entrer sur scène sans savoir si j’étais jeune ou vieux, si j’étais une femme, un homme, un enfant… Chaque fois, il me fallait devenir un personnage que j’inventais de A à Z. Je me suis même mis dans la peau de personnages absolument épouvantables, j’ai vraiment eu l’impression de faire d’horribles voyages. Par exemple je me suis coltiné la personnalité d’un pédophile en étant à l’intérieur du personnage. Je n’en suis pas toujours ressorti intact.

Ces textes vous viennent-ils d’un seul jet ou les retravaillez-vous jusqu’à obtenir l’impact souhaité dans le calibrage imposé ?

Régis Jauffret — Je n’ai pas écrit ces histoires en les reprenant, même pas en les méditant par avance. D’ailleurs je suis absolument incapable d’écrire quelque chose que j’ai déjà imaginé. Je me mettais à écrire et il se produisait une sorte de grâce, l’histoire, le personnage, surgissaient toujours comme si un pouvoir magique m’avait été attribué. J’écrivais trois, voire quatre textes par jour, à chaque fois je voyais surgir comme d’une lampe d’Aladin une nouvelle histoire, c’est-àdire la vie de quelqu’un dont je n’avais auparavant aucune idée.

Considérez-vous Microfictions comme un roman à part entière ?

Régis Jauffret — Le roman est sans doute la forme la plus géniale qui ait été inventée, la plus solide et la plus forte, parce qu’il s’agit d’un organisme vivant qui évolue, se transforme, tout en restant toujours le roman.
Sans parler de «nouveau roman» ou de «nouveau nouveau roman», je pense que la littérature ne doit pas avoir peur de faire évoluer les genres. Je pense aussi que chaque histoire prise individuellement n’est pas un cinq centième du livre, de même qu’une foule est plus que la totalité des individus qui la composent. C’est pour moi la définition du roman : à la base, la fiction, elle-même faite de personnages, dont l’ensemble forme une foule. Alors disons que Microfictions c’est une foule en particulier, qu’on aurait rencontrée un jour, par hasard, vers cinq heures du soir.

© Éditions Gallimard