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Un livre de jours et Une saison en enfer de Patti Smith. Entretien

«  C’était un six-coups Lefaucheux, calibre 7 millimètres. Il avait été acheté par Paul Verlaine, en même temps qu’une boîte de munitions, à l’armurerie Montigny à Bruxelles. Buvant de l’absinthe dans un café de la rue des Chartreux, ivre et désespéré, il inséra trois balles dans le barillet. »

Le revolver de Verlaine a réapparu récemment. Vous avez pu le photographier et le prendre en main. Qu’avez-vous ressenti à cet instant ?

J’ai eu le privilège de pouvoir prendre une photo de l’arme à Bruxelles le 8 août 2014. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai vu et tenu ce petit revolver qui a été le centre de
tant de douleur et de drame. Je l’ai imaginé dans les mains de Verlaine, et le plomb à l’intérieur perçant le poignet de Rimbaud. Par la suite, la photographie que j’ai prise est
devenue la pièce maîtresse de notre édition : un objet aussi dangereux que la poésie.

Habiter à l’endroit exact où Rimbaud a écrit Une saison en enfer a-t-il guidé votre inspiration pour votre édition de ces poèmes ?

La véritable maison fut bombardée par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale. Elle a été reconstruite vers 1917 sur la même parcelle, celle de la mère de Rimbaud. Je me sens toujours émue lorsque je suis sur ce terrain. C’est à cet endroit que le poète a écrit la plupart d’Une saison en enfer, le même sol qu’il a foulé de ses pieds, le même ciel au-dessus de sa tête. J’ai pris il y a plusieurs années une photo de la route qui fait face à la maison. J’ai choisi d’utiliser ce Polaroïd comme illustration du poème Ma Bohême dans l’édition de la Grande Blanche ; il s’agit probablement du même chemin boueux que celui qu’il empruntait lors d’une de ses longues promenades. La première fois que j’ai vu cette maison, je n’aurais jamais pensé que je deviendrais sa gardienne. J’ai le sentiment que cela m’a inspiré dans mon travail sur notre édition car j’ai ressenti une profonde proximité avec le poète.

Bien que ne sachant pas lire en français, vous êtes passionnée par Rimbaud et chérissez ses œuvres. Comment expliquez-vous votre capacité à surmonter la barrière de la langue ?

J’ai lu et relu toutes les lettres et tous les poèmes traduits de Rimbaud, ainsi que de nombreuses biographies. Ensuite, j’ai construit ma propre image du poète-aventurier et de
ses œuvres ; une distillation basée sur mes lectures et mon intuition. Son œuvre est unique, moderne et en harmonie avec mon esthétique et ma sensibilité. Même si je ne peux pas connaître pleinement la beauté ou la violence de son œuvre en français, je l’ai suffisamment fréquentée à travers mes lectures pour en être transportée, influencée et
inspirée.

Simultanément, vous publiez Un livre de jours, que vous définissez comme « 366 façons de dire bonjour ». Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser cet ouvrage ?

J’ai conçu et créé ce livre durant la pandémie. À ce moment, j’étais censée être partie en tournée mondiale mais j’ai malheureusement dû rester à New York, isolée. Travailler
sur ce livre m’a donné l’illusion de voyager, de communiquer avec le monde, le sentiment de tendre la main à autrui. Comme j’aime la culture française et que Paris me manquait énormément, j’ai revisité, par le biais de photographies, mes cafés, écrivains, poètes et cinéastes préférés au fil des pages.

Artiste engagée, Patti Smith, née à Chicago en 1946, part à New York en 1967. Habituée des clubs punk et rock du moment, elle crée le Patti Smith Group, dont le premier single paraît en 1974. Admiratrice des textes d’Arthur Rimbaud, autrice de poèmes et de récits dont Just Kids, elle reçoit la médaille de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres en 2005.