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Deux sœurs de David Foenkinos. Entretien

« La vérité imparable. Sans bavure. Une équation amoureuse qui faisait une victime : elle. Iris était revenue, après cinq ans passés en Australie, et avait repris sa place. Comme si de rien n’était. Comme si Mathilde n’avait pas existé. Elle avait été une sorte de parenthèse. Toute une vie pour rien. Des souvenirs, des projets, des discussions joyeuses ou des disputes sans gravité, tout cela n’avait été qu’une vie en forme de salle d’attente de l’autre. »

 
Ce huis clos familial n’existe-t-il pas surtout dans la tête de Mathilde, enfermée dans son amour brisé ?
Il me semble au contraire qu’il s’agit là d’un amour assez beau et équilibré qui est subitement dévasté. Cette dévastation est d’autant plus puissante que tout paraissait pouvoir durer ; d’une manière obsessionnelle, Mathilde va se focaliser sur cet avenir qui n’existe plus. Elle se retrouve face à un vide abyssal, le vide de la vie quand on lui retire le prétexte amoureux.

La douleur de Mathilde procède-t-elle d’une blessure d’amour, ou d’amour-propre ?
Les deux sont sûrement liés. Mais on va voir dans son évolution que la souffrance la plonge dans un état où elle n’est plus en maîtrise d’elle-même. Il n’y a plus d’amour-propre à ce moment-là. Il y a plutôt une sorte de rage qui va progresser.

Le roman pose aussi le problème du passé qui ressurgit à l’improviste…
Les histoires d’amour modernes reposent aussi sur cette fragilité-là. Avec les réseaux sociaux notamment, on ne perd jamais vraiment contact avec le passé. Les fantômes sentimentaux errent davantage dans le présent amoureux. Il me semblait aussi que c’était un degré supérieur dans la rupture : le fait que la personne qu’on aime renoue avec son histoire précédente. Il y a une humiliation aggravée dans cette situation.

Les relations ambiguës des deux sœurs sont-elles liées à leur perception différente des drames de leur enfance ?
J’utilise un drame du passé qui apparaît comme une condamnation. La première des sœurs qui a contemplé le malheur de la mère est prédestiné à être malheureuse ; comme si on se transmettait la tragédie de génération en génération. D’un point de vue plus simple, je voulais m’atteler à ce sujet : une femme qui perd tout est confronté au bonheur parfait de sa sœur, et considère cela comme une injustice ; elle se dit qu’elle devrait vivre exactement la même vie que sa sœur.

Quand Mathilde tombe le masque, qu’est-ce qui motive son comportement ? Orgueil ? Jalousie ? Envie de détruire sa rivale par personne interposée ?
Rien ne la motive vraiment, car rien n’est conscient. Il y a une évolution de plus en plus sombre de son personnage, mais elle n’est pas en capacité de comprendre ce qu’elle ressent. Il y a de la jalousie bien sûr, mais aussi une forme de hargne qui se généralise, liée à l’injustice de ce qu’elle vit. C’est aussi ce qui m’intéressait dans ce sujet : ne pas écrire un personnage machiavélique ou lucide, mais plutôt traversé par un désarroi si grand qu’il ne peut plus être en phase avec la réalité. C’est ce qui lui arrive également dans sa vie professionnelle, où elle est mise à pied après avoir violenté un élève.

Iris n’aurait-elle pas servi à Étienne de prétexte pour quitter Mathilde, chez qui il avait pressenti une fêlure ?
C’est intéressant de penser cela. En l’occurrence, il me semble que c’est le contraire. Je voulais écrire l’histoire d’une femme douce et bienveillante (on le voit notamment avec ses élèves) que la vie violente d’une manière puissante ; et c’est à partir de ce moment-là que sa psychologie se fêle, et qu’elle va réagir d’une manière totalement inattendue. C’est la source de ce qui s’apparente à un thriller psychologique.

Entretien réalisé avec David Foenkinos à l’occasion de la parution de Deux sœurs.

© Gallimard