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Le Rivage des jours, de Claude Roy. Entretien

Rencontre avec Claude Roy, à l'occasion de la parution du Rivage des jours en avril 1992.

Depuis que vous avez terminé votre autobiographie il y a quinze ans (Moi je, Nous, Somme toute), vous avez publié trois romans, trois recueils de poèmes et voici (après Permis de séjour, La Fleur du temps et L'Étonnement du voyageur) le quatrième de vos... journaux ? carnets ?

Claude Roy — Je dirais plutôt : livres de bord. J'y rassemble des pages de journal, des textes en chantier, des carnets de notes, des poèmes à l'état naissant, des registres de travail, des impressions de voyages. Un peu de tout. C'est un mot superbe, tout. Un peu démesuré, oui. Je suis un touche-à-tout. Je touche à tout parce que tout me touche. Parce que tout se tient.

Qu'est-ce que c'est, « le rivage des jours » ?

Claude Roy — Une expression d'un poète chinois de la dynastie Song. Il est sur la plage, écrivant un poème, pendant que son petit-fils ramasse des coquillages et des algues. « L'enfant, dit-il, ramasse des trésors fragiles au bord de l'eau et je ramasse les trésors du temps sur le rivage des jours. »

Votre rivage ici s'étend loin de votre retraite du Hurepoix, le Haut Bout, à New York, du pays d'en Haut, en Suisse, à Venise, et de « l'espace du dedans » dont parle Henri Michaux à l'espace extérieur des bouleversements récents de l'Histoire...

Claude Roy — J'aime les voyages, le mouvement qui déplace les lignes trop raides et secoue les préjugés. Mais je me répète toujours le conseil de Diderot : « Avant de faire le tour du monde, si nous faisions le tour de nous-même. »

Pourquoi publiez-vous vos poèmes à leur date dans ces registres avant de les réunir en recueils ?

Claude Roy — Parce que les poèmes ça ne naît pas au ciel, dans le vide, mais que ça surgit de la prose des jours et des jours de la prose, que ça se nourrit de la vie quotidienne. Et puis j'aimerais persuader les lecteurs, non de renoncer au respect de la poésie, mais de refuser la dévotion, le culte, la bigoterie de la poésie. Il faudrait lire les poèmes avec le même naturel que les paroles de tous les jours dont ils sont surgis, comme dans l'opéra la musique s'élève peu à peu à partir du parlé, comme le récitatif devient un air...

On fait beaucoup de rencontres dans vos carnets de route : un hérisson et Octavio Paz, les hirondelles du Haut Bout et les homeless de New York, Jacques Roubaud et les mouettes de Venise, André Breton, Balthus et les abeilles du Pincio. C'est un peu un album de famille de l'amitié. Vous avez des amis dans tous les règnes, animaux, végétaux, humains...

Claude Roy — Et à l'envers de la vie, hélas ! J'ai atteint cet âge où tant de voyageurs descendent du train. Les deux années que couvre ce volume, nous avons dit adieu à Anne Philipe et à Robert Antelme, à J.-L. Bost et à Michel Leiris, à tant d'autres. La mort n'arrête pas de se rappeler à notre bon souvenir. La vie aussi, heureusement...

Pourquoi vous obstinez-vous à nommer « minimes » ces aphorismes qui sont des maximes ?

Claude Roy — Parce que j'admire ce qui est grand, mais j'essaie d'appliquer le précepte de Valéry : entre deux mots, choisir le moindre.

© Éditions Gallimard