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Trouver refuge de Christophe Ono-dit-Biot. Entretien

Trouver refuge… Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Parce ce que j’aime ce mot de « refuge » et c’est que c’est ce que j’ai voulu offrir avec ce roman : un refuge. Un refuge plein de lumière, de nature, de parfums, d’eau, de sensations. Un refuge que vont chercher un père, une mère, et leur petite fille, en France, dans quelques années, quand brusquement leur vie bascule. « Trouver refuge », à l’infinitif, parce que pour eux c’est un impératif vital. Imaginez en effet qu’à la suite de certaines circonstances vous soyez vous-mêmes contraints, ce soir, de devoir tout abandonner en quelques heures avec votre famille, et de trouver un endroit où vous mettre à l’abri, où iriez-vous ? Qui ne s’est pas, un jour, posé la question, surtout en ce moment ? Mes personnages, Sacha, Mina, et la petite Irène, vont devoir non seulement se la poser mais y répondre : à cause d’une erreur commise par Sacha, qui a fortement troublé le pouvoir en place pour une raison que les lecteurs vont peu à peu découvrir au fil du roman, ils doivent tenter de gagner le seul endroit où ils pensent être en sécurité.

Et cet endroit, c’est le mont Athos, un sanctuaire inaccessible au cœur de l’Europe…

Oui, un lieu incroyable, secret, hors norme, d’un romanesque inouï. Un anti-monde, un contre-monde au cœur de notre monde, et pourtant coupé de ce monde… A l’origine de ce roman, il y a une image mentale. Une image qui m’obsède, un peu énigmatique, et qui déclenche l’écriture.  L’image, cette fois, était celle d’une main d’enfant, minuscule, dans la large main d’adulte de son père, au milieu d’une nature profuse, intacte, d’une beauté renversante. Cette nature s’est peu à peu précisée dans l’image : c’était celle du mont Athos, un lieu que je connais bien et qui m’a énormément marqué, comme un mystérieux jardin d’Eden posé sur la mer. J’allais y revenir par le roman avec ce père et sa petite fille. Alors même que ce territoire est hélas interdit aux enfants et à toute présence féminine. Cela s’est imposé comme ça. Le mont Athos est une presqu’île de 50 kms sur 10, au nord de la Grèce, au cœur d’une nature grandiose, bordée par la Méditerranée, couronnée par un sommet culminant à 2000 mètres, et semée d’une vingtaine de monastères fortifiés qui semblent échappés d’une ancienne légende, et où l’on vit encore selon des règles édictées à Byzance au Xe siècle... Il y souffle quelque chose de divin, quel que soit ce qu’on met dans ce mot, car pour ma part je ne suis pas croyant. Je parle de quelque chose qui nous dépasse, nous transporte, et nous fait nous sentir véritablement humain à cause de cela.

Car c’est aussi la question que pose le roman : comment rester humain en des temps de plus en plus menaçants ?

Oui : comment préserve-t-on cette flamme d’humanité qui brûle encore en nous quand les bourrasques de l’époque cherchent à l’éteindre ? Qu’est-ce qu’on transmet à son enfant quand le temps vient à manquer ? Depuis sa fondation au Xe siècle, le mont Athos a été à travers l’Histoire un refuge pour ceux qui en cherchaient un : il le serait donc pour mes personnages en fuite, en cavale, menacés par un pouvoir autoritaire, au cœur de notre époque. Et j’allais y emmener avec moi les lectrices et les lecteurs, et tenter de leur montrer toute la profondeur de cet endroit mythique et pourtant bien réel mais encore très secret : sa beauté, ses extravagances, ses rites et ses récits, qui ont aussi façonné notre monde européen. Les plonger, aussi, dans un grand bain de sensations. Il peut se passer plein de choses, dans un refuge. Et il semble que ces temps-ci, on ait de plus en plus besoin d’un refuge…

D’autant que ce roman, à la narration très tendue, entretient des liens très forts avec l’actualité, notamment politique, la montée des partis extrêmes, la remise en cause de l’avortement, les libertés menacées, la surveillance généralisée, thème très présent dans « Trouver refuge »…

En effet. Et si le roman s’intéresse au temps long, à l’idée de la transmission, de l’éternité, du sens de l’Histoire, je tenais à cette dimension politique. Car l’écriture a été dictée par une véritable inquiétude politique, à laquelle le roman tente de proposer quelques contrepoisons. J’ai commencé ce livre il y a cinq ans, très inquiet par les forces qui agitaient à nouveau une Europe abandonnant peu à peu son humanisme pour embrasser un populisme de plus en plus décomplexé malgré ce que ce populisme a fait à notre histoire européenne. Et plus le temps a passé, plus ces mouvements ont gagné en force, en vigueur, se sont peu à peu normalisés y compris en France, rejoignant ce que j’écrivais en pensant exagérer ! « Trouver refuge » s’est nourri de ces observations, de ce ressenti et a été écrit comme une invitation à s’interroger, à réagir. Le personnage qui se fait appeler ironiquement « Papa » est une incarnation de ce populisme et de cet extrémisme qui ne dit pas son nom, parce qu’il entend se présenter comme une réponse politique « de bon sens » face au « chaos », aux « élites », refusant même le qualificatif d’« extrême » parce qu’il ne serait qu’une protection au service du « bien » des citoyens et de leur « civilisation » alors qu’il les envoie droit vers l’abîme. On entend cela aujourd’hui de plus en plus... Le roman permet de le raconter, de poser des questions. La fiction donne accès au réel, comme disait l’un de mes défunts amis. Quel est le plan B dans ce monde qui se durcit, économiquement, politiquement, et écologiquement ? Mina et Sacha, et même la petite Irène, avec son inlassable curiosité, son enthousiasme d’enfant, sa joie, proposent un chemin de liberté, de résistance. Il vaut ce qu’il vaut, mais c’est celui qu’ils se sont choisis. Ils luttent. Ils ne se laisseront pas faire.

Trouver refuge est également un roman sur le couple, la famille et sur les secrets…

Sacha et Mina choisissent de rester humains dans un monde qui oublie son humanité. Oui, l’amour est au cœur du roman. L’amour dans un couple, avec tous les combats et les non-dits qu’il contient. Connaît-on vraiment celui ou celle qu’on aime ? L’amour entre les parents et les enfants, à travers notamment la relation père-fille qui me fascine et que je voulais explorer. Cette autre forme d’amour, aussi, qu’on appelle l’amitié, qui a uni trente ans auparavant Sacha et celui qui est devenu Papa, liés par un secret qui les menace l’un et l’autre. Et enfin l’amour que vivent intensément ces moines, et qui s’appelle la foi. Je pourrais vous parler longtemps de l’amour dans ce roman, et surtout de Mina. Je voulais donner vie à un personnage de femme qui incarne la difficulté d’aimer, et donc sa beauté. C’est aussi un acte de résistance. J’ai adoré « écrire » Mina. Déterminée mais pleine de doute. Mina qui veut enrayer le cours de la catastrophe qui menace sa famille et dont on va suivre le parcours en parallèle de celui de Sacha et d’Irène. Eux sur le mont Athos, où le danger continue à les menacer, elle revenant vers la capitale, chapitre après chapitre. Mina ou celle qui veut « sauver », Mina amante, épouse et mère. Résistante. Jusqu’où ? Voilà pourquoi je voulais qu’elle soit une professeure, spécialiste de Byzance mais aussi de la Renaissance. Et que l’enfant porte le prénom d’Irène, celui de la première femme à avoir régné sur l’empire byzantin. Byzance me fascine : une ville, une capitale, une civilisation qui a duré mille ans, un moment charnière où l’Antiquité et le christianisme s’articulent pour inventer autre chose, une synthèse magnifique entre Orient et Occident qui va préparer la Renaissance. Le mont Athos, c’est aussi le dernier confetti de l’empire byzantin qui subsiste encore dans notre monde. Un peu comme une « Time capsule »… Un roman est aussi un voyage dans le temps. Pour parler de notre temps. Et tenter d’y remettre un peu de lumière…

Christophe Ono-dit-Biot est né au Havre en 1975. Il est l'auteur de Birmane (prix Interallié 2007), Plonger (Grand Prix du roman de l'Académie française et prix Renaudot des lycéens 2013) et Croire au merveilleux. Trouver refuge est son septième roman.

Découvrez l'entretien réalisé avec Christophe Ono-dit-Biot à l’occasion de la parution de Trouver refuge.

 © Gallimard