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Réjean Ducharme (1941-2017)

Réjean Ducharme « me semble vraiment un des très rares écrivains actuels ayant quelque chose à dire, et la volonté de le dire jusqu’au bout », écrivait JMG Le Clézio à Claude Gallimard en 1968. L’auteur de L’Avalée des avalés, qui s’imposa dès la parution de ce premier roman en 1966 comme l’un des plus grands représentants de la littérature québécoise, s’est éteint le 21 août 2017.

Réjean Ducharme, L'Océantume, Gallimard, septembre 1968. Édition originale.

L'Océantume, édition originale, 1968.
Il s'agit du premier manuscrit envoyé
à la NRF par Réjean Ducharme.

Dominique Aury remarquait à juste titre dans La NRF de décembre 1966 que, « dans l'histoire des rapports entre littérature française et littérature canadienne, 1966 compter[ait] : un, deux, trois, quatre romans canadiens en six mois : Une saison dans la vie d'Emmanuel, de Marie-Claire Blais, Prochain Épisode, d'Hubert Aquin, La Jument des Mongols de Jean Basile, L'Avalée des avalés de Réjean Ducharme. Les trois premiers ont paru au Canada avant de paraître en France. Le quatrième paraît directement en France. » L’heureux éditeur n’est autre que la maison Gallimard, à laquelle Réjean Ducharme avait adressé par la poste en octobre 1965 le manuscrit de L’Océantume, après que l’éditeur canadien Pierre Tisseyre, découragé par sa présentation matérielle, eut réclamé en vain une copie plus lisible. « Quand un jeune inconnu [en l’occurrence un jeune homme de 24 ans né à Saint-Félix-de-Valoix dans le comté de Joliette] met à la poste aujourd'hui son premier manuscrit à l'adresse d'un éditeur parisien, personne ne s'inquiète s'il habite Toulouse ou Valenciennes mais si le manuscrit vient de Québec, tout change. Car nous n'avons aucun remords envers Toulouse ou Valenciennes, mais Québec ! Les “quelques arpents de neige” de Voltaire nous pèsent sur la conscience, et voilà deux cents ans qu'on nous fait honte avec Québec : nous avons abandonné nos frères à la tyrannie des Anglais », note Dominique Aury, laquelle fut avec Raymond Queneau l’un des premiers lecteurs enthousiastes de Ducharme rue Sébastien-Bottin. Ce n’est cependant pas ce prétendu sentiment de culpabilité qui valut à Réjean Ducharme d’être remarqué mais bien le constat qu’alors « les Canadiens français envahiss[aient] au Canada non seulement les domaines réservés aux Anglais, mais encore ce qui n'est, Dieu merci, réservé à personne : la littérature. »

La certitude d’avoir découvert un grand écrivain à la lecture de L’Océantume – que son auteur avait facétieusement signé Jean Racine –, fut confirmée par deux autres manuscrits, également envoyés par la poste dans les mois qui suivirent : Le Nez qui voque et, surtout, L’Avalée des avalée, premier roman de Ducharme à paraître dans la collection Blanche le 16 septembre 1966, aussitôt en lice pour le prix Goncourt et salué par la critique, tant en France qu’au Québec. Le Nez qui voque fut à son tour publié le 7 avril 1967 et L’Océantume le 11 septembre 1968. Estimant qu’un écrivain n’existait que par son œuvre, qui fut d’ailleurs récompensée en France par le Grand Prix national des Lettres en 1999, Réjean Ducharme s’est résolument tenu à l’écart de toute apparition ou intervention publique. À l’occasion du centenaire de sa maison, Antoine Gallimard soulignait que, « dans les lettres émouvantes qu’il adressait à la NRF dans les années 1960 et 1970 (“Cher éditeur, Je vous écris de ma patinoire qui est en train de fondre... ”), il était plus souvent question des œuvres de ses contemporains (celles du Céline d'après-guerre, celles de son ami JMG. Le Clézio...) que des siennes propres. Comme si ce dialogue entre écrivains, surclassant les frontières, les océans et les âges, étaient indissociables de l'acte de création lui-même. »
De Réjean Ducharme, qui fut également dramaturge, artiste sous le nom de Roch Plante et collabora avec Robert Charlebois comme parolier et Francis Mankiewicz comme scénariste, Gallimard a publié neuf romans, dont l’un adapté pour la scène, et une pièce de théâtre.

© Éditions Gallimard

 

Réjean Ducharme, L'Hiver de force, Folio, janvier 1985.

Première édition en Folio de L'Hiver de force, 1985