Mais, à l’image des rêves eux-mêmes, la collection très rapidement charrie joyeusement les écritures les plus diverses, de journalistes du jour aux Pas perdus de Breton.

Gaston Gallimard y met bon ordre en réservant aux penseurs essayistes un espace qui leur fût propre. La collection « Les Essais » est lancée en 1931, animée par Jean Paulhan, Brice Parain et Raymond Queneau : les champs couverts, au fil des décennies, sont la philosophie, la critique littéraire, l’anthropologie et l’histoire culturelles. Le point commun, ce serait la dimension des ouvrages, l’essai s’entendant alors comme un court exercice où le style est un élément constituant de la pensée, de son exposé du moins. Depuis 1988, la collection « Nrf essais » s’inscrit, avec des inflexions propres au contemporain, mais sans rupture réelle, dans la continuité de l’imposant héritage des collections précédentes. L’objectif primordial n’est plus un exercice de style visant à formuler une réponse cursive, mais une écriture tenue parce que mise au service de la construction d’une question.

En effet, dans une maison portée par la culture de la durée, le culte du catalogue, c’est-à-dire des ouvrages pensés hier, publiés aujourd’hui avec l’ambition d’être encore lus demain, la conviction fondatrice de « Nrf essais » est qu’au sein de l’interrogation sur le monde – autre définition du métier d’éditeur –, la question, par les déplacements qu’elle opère, importe plus que la réponse. Il s’opère donc, quels que soient les domaines du savoir, une mise à distance des certitudes reçues sans discernement, une mise en perspective d’objets faussement familiers, une mise en relation de modes de pensée d’ailleurs et d’ici. En quelque sorte, l’esprit de l’essai l’a emporté sur la forme.