«Ma mère savait ce qu'elle faisait, le jour où elle a épousé mon père. Dix-huit ans, belle à ravir : cheveux d'un blond cendré, fins, partagés en bandeaux et rassemblés en chignon plat sur la nuque, visage d'un blanc mat, front large, menton rond, grands yeux gris au doux regard (méfiez-vous des femmes au doux regard !), petite bouche comme on les aimait à l'époque, cette fin du XIX^e siècle qui se prolongea quatorze ans après le début du nôtre et se termina en boucherie.
Belle mais aussi aristocrate, d'une vieille famille viennoise apparentée aux Habsbourg, où tenir son rang lorsque l'argent manquait exigeait une discipline sans faille. Il va de soi que ma mère avait reçu (dans un pensionnat de Genève) "la meilleure éducation", autrement dit, celle qui ne sert à rien.»