La plupart des êtres mènent ou ont mené parallèlement deux existences : l'une réelle et extérieure, l'autre imaginaire et secrète. Cette seconde vie les enfants la jouent, les adolescents la rêvent. Chez les adultes, elle devient un problème que chacun résoud suivant ses préférences, ou suivant ses forces. Les uns, jugeant que les soucis de la journée leur suffisent et que la nuit est faite pour dormir, étouffent le grain de folie qui germe en eux et acceptent ainsi une première mort, histoire de s'entraîner. Les autres se livrent à des transpositions plus ou
moins savantes, à des essais de traduction en prose, en vers ou en peinture. N'en parlons pas : ce sont des artistes. Mais il y a encore des hommes et des femmes intrépides qui tentent de faire passer leur rêve avec armes et bagages dans le monde réel. Quelle erreur et quelle imprudence! Le coup ne réussit pas une fois sur cent mille. Le monde réel est rempli de matériaux opaques, de personnages désobligeants qui ne tiennent pas à entrer dans votre jeu et qui bousculent tout, comme vous pourrez voir. Et même quand ils font le geste que vous attendiez le seul fait qu'ils pèsent sur la terre risque de vous inspirer du dégoût.
Autre question : d'où peut venir, chez certains, cette étrange envie de donner consistance à des fantômes? Souvent, hélas, de la lecture des mauvais livres, c'est-à-dire des romans. N'en lisons jamais.