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Centre de Philippe Sollers. Entretien

«C’est maintenant l’œil du cyclone, au centre du tourbillon. Tout est d’un calme si extraordinaire que je n’ai plus rien à comprendre. Quelques phrases d’autrefois traînent encore, mais elles ne s’inscrivent pas, ma main les refuse. La seule vraie couleur est le blanc.»

 
De quel « centre » s’agit-il ?
C’est le centre métaphysique, celui qu’évoque Pascal : «une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part», ce qu’on peut aussi renverser en «une sphère dont la circonférence serait partout et le centre nulle part»… Est-ce également un centre spatial ? Ce centre se situerait alors dans le temps et, d’une façon très étrange, il m’est apparu qu’il y avait un savoir central, qui serait peut-être le savoir absolu de Hegel.

La psychanalyse est au cœur du roman, avec le personnage de Nora et surtout avec Freud et Lacan…
Freud et la psychanalyse représentent un décalage par rapport à ce qui était antérieurement tenu pour le centre. Le sujet change sa position, ce qui a eu des effets considérables. Tout cela reste d’ailleurs à ranimer pour que la psychanalyse ne soit plus ce qu’elle est devenue, c’est-à-dire une simple routine d’accompagnement autour d’un cercle qui n’est plus un centre.

Et Lacan ?
Arrive, alors que la psychanalyse est déjà falsifiée notamment par Jung, un Français, au demeurant fort étrange, qui la remet dans une situation polémique : après Freud, le Juif athée, Lacan, le catholique subversif. Lacan était un personnage éblouissant qui découvrait sa pensée en parlant. Cette liberté de parole s’oppose à la crainte qu’une parole singulière s’exprime.
En quoi l’expression d’une « parole singulière » dérange-t-elle autant ?
C’est la découverte de la singularité humaine, qui n’est pas faite pour le « faire ensemble ». Quel blasphème ! Il n’y a pas d’inconscient collectif, il n’y a pas de «mise ensemble» possible. L’hostilité, la coalition contre la psychanalyse est un phénomène politique très important.

Où en sommes-nous avec l’hystérie ?
Freud et Lacan voulaient savoir ce qu'est l’hystérie, ce phénomène massif, durable, qui change de forme en permanence, mais reste omniprésent comme socle de l’aventure humaine.  C’est en prenant au mot les hystériques que Freud est devenu lucide. Mais cette lucidité n’est pas évidente : prenez l’actualité par où vous voulez, vous serez comblé en matière de symptômes hystériques.

Vous écrivez, «Paris est brusquement redevenu le centre d’un monde secret et nouveau». Pouvez-vous en dire plus ?
Paris a été le centre de la seule révolution en profondeur, et capitale, de l’humanité. On l’appelle Révolution française, mais elle est avant tout parisienne. Les phénomènes révolutionnaires m’intéressent par définition, mais celui-là revient sans cesse en boomerang, au point que de falsifications en atermoiements et en raccommodages, on ne sait plus très bien où s’est situé l’épicentre de ce phénomène.
La Révolution française n’est nullement terminée, elle continue, mais tout est fait pour vous empêcher de le savoir.

Composé de courts paragraphes percutants, le roman semble construit pour ébranler les certitudes du lecteur ?
Je crois que nous sommes dans une période de grand danger réactionnaire. Freud avait révélé ce qu’on ne veut pas voir : l’hystérie, la pulsion de mort… Il faut plus que jamais s’en référer aux écrivains qui sont sur la crête de la lucidité : Voltaire, Sade, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Proust, et enfin Céline, ce maudit. Tous ces écrivains ont un rapport avec ce que j’appelle la vérité. Attention, la vérité peut être enchantée ou cruelle ! Là-dessus, il y aurait beaucoup à dire, mais ce n’est pas facile, tellement l’hystérie est présente. Ce roman est malgré tout très clair.

Entretien réalisé avec Philippe Sollers à l'occasion de la parution de Centre.

© Gallimard