Page précédente
  • Imprimer

Marc Dugain. Quinquennat. Entretien

Dans cette intrigue vertigineuse et actuelle, Marc Dugain réussit à entrer au plus profond de l’intimité psychologique de ses personnages et de la réalité tragique du pouvoir, là où les raisons de la lutte n’importent plus et l’élimination de l’autre devient un objectif en soi.

Quinquennat semble aller plus loin dans les révélations que votre roman précédent, L’emprise…
Oui, tout en observant le même principe de refus de la délation. Mes personnages sont inspirés par la réalité, mais aucun n’est un portrait d’un personnage réel. Je n’essaie pas de stigmatiser les uns ou les autres, j’essaie de faire mon travail d’écrivain, c’est-à-dire de rendre compte d’une période, la nôtre, qui est celle de l’accélération exponentielle de l’Histoire. La classe politique est en train de perdre le pouvoir, car les institutions et le mode de fonctionnement politique ne correspondent plus à la société réelle.
Ce qui m’intéressait surtout était d’aller plus loin à l’intérieur des êtres, de leur caractère, de leur formation, de leur complexité, de leur psychologie…

D’où vos réflexions sur la manière dont se construit un homme politique ?
Le parcours d’un homme politique n’est pas anodin. La comparaison est un peu osée, mais c’est comme le parcours des tueurs en série : il y a tout un profil psychologique derrière. Je m’explique : en politique, on ne se retrouve pas par hasard en première ligne. La politique est un combat qui demande des ressorts très forts, une énergie, une confiance en soi hors du commun. Ces gens n’ont pas particulièrement d’empathie, ils prennent des coups, ils en donnent, tout cela parce qu’ils sont bien décidés à être «l’élu». Mais qui se lève chaque matin en disant « je veux être l’élu de soixante-six millions de Français » ?
J’observe ces gens qui nous gouvernent, mais qui arrivent difficilement à se gouverner eux-mêmes… J’étudie comment les haines se forgent, quel est leur rapport à la mort, à l’espérance de postérité. Et je les fais évoluer dans un contexte contemporain qui est, je crois, assez exact.

Vous introduisez deux personnages nouveaux, le docteur Stambouli et le journaliste Terence Absalon, qui, en contrepoint, incarnent l’intégrité et la sincérité…
Dans ce climat de guerre ultra violente entre Launay, devenu président, et Lubiak, son ministre des Finances, j’ai voulu créer ces deux personnages qui incarnent une forme d’espoir, parce que ces deux-là sont en quelque sorte génétiquement incorruptibles. Des gens comme ça existent réellement, et je trouve cela admirable.

Si les femmes sont nombreuses dans le roman, il n’y a pas de personnage de femme politique ?
Il est très difficile pour une femme d’entrer en politique, bien plus difficile que pour un homme. Il lui est surtout très difficile de conserver son identité de femme. Très vite, certaines se croient obligées d’adopter un comportement très masculin dans leur façon de parler, de s’habiller… Pourtant, les femmes politiques n’ont pas les mêmes ressorts que les hommes politiques. Chez elles, la conviction est prépondérante, alors que les hommes sont plus attachés à l’idée qu’ils se font du pouvoir. J’ai préféré traiter le rôle des femmes en général autour des hommes politiques. Ce sont les femmes qui, dans le roman comme dans la réalité, font tomber le château de cartes : ainsi, dans l’affaire Karachi, elles ont lâché les informations que les juges ne parvenaient pas à obtenir.

La trilogie « argent-pouvoir-sexe » se réduit ici à « argent-pouvoir »…
Il y a chez les hommes politiques un besoin de règlement de comptes avec leur enfance bien plus important que chez la moyenne des gens, et c’est là que tout se joue. Ensuite, que leur besoin de séduction du peuple se traduise aussi en besoin de séduction des femmes — ou des hommes pour certaines femmes politiques —, c’est un fait. Mais ce ressort du sexe m’intéresse peu, je n’aime pas la facilité qui consisterait à attirer le lecteur par des péripéties sexuelles un peu glauques.

Vous citez souvent Le loup des steppes, de Hermann Hesse…
C’est pour moi un livre extraordinaire qui fait écho à beaucoup de mes préoccupations. Je l’ai relu pour la énième fois en écrivant Quinquennat, et ces pages résonnaient en moi comme une musique. D’une certaine façon, ce livre éclaire le mien.

Entretien réalisé avec Marc Dugain à l’occasion de la parution de Quinquennat.

© Gallimard