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La famille Martin de David Foenkinos. Entretien

« J’avais du mal à écrire ; je tournais en rond. Pendant des années, j’avais imaginé de nombreuses histoires, ne puisant que rarement dans la réalité. Je travaillais alors sur un roman autour des ateliers d’écriture. L’intrigue se déroulait lors d’un week-end consacré aux
mots. Mais les mots, je ne les avais pas. Mes personnages m’intéressaient si peu, me procuraient un vertige d’ennui. J’ai pensé que n’importe quel récit réel aurait plus d’intérêt. N’importe quelle existence qui ne soit pas de la fiction. »

Aborder la première personne vue dans la rue et en faire un sujet de roman : s’agit-il d’une contrainte oulipienne ou d’un défi que vous vous êtes réellement lancé ?
C’est un défi que je me suis réellement lancé. Souvent, lors de rencontres littéraires, on vient me voir en me disant : « Vous devriez raconter ma vie. » J’ai toujours écrit des romans, et le narrateur, proche de moi, se dit à un moment : la fiction ne m’intéresse plus. Je veux descendre dans la rue, arrêter la première personne que je croise, et écrire sur elle. C’est vrai que ce diktat peut se rapprocher d’une démarche oulipienne. Ce qui m’intéressait était aussi de commenter l’avancée de mon récit : mon personnage réel est-il intéressant ? Va-t-il se passer des choses palpitantes dans ces vies que je raconte ? C’est une réflexion sur la notion de divertissement, ou sur cette soumission à la nécessité d’être en permanence divertissant.

Plus on avance dans le récit, plus on a le sentiment que personne n’est banal, ni ordinaire…
Toute expérience, fût-elle banale, est majeure à vivre pour celui qui la vit. L’usure du couple par exemple, aussi classique puisse-t-elle être, peut devenir une réelle tragédie intime. Ainsi, je ne crois pas trop à la banalité. L’ennui même peut-être un enjeu dramatique. Mais
c’est vrai que mes personnages traversent des passages difficiles qui rendent les situations extrêmes ou risibles. Peut-être ont-ils envie aussi de surprendre le narrateur que je suis ? Sous la lumière d’un romancier, ils essayent de rendre palpitants les éléments de leur vie. On dirait presque qu’ils modifient leur destin pour ne pas ennuyer le lecteur.

Le roman est semé d’indices autobiographiques, de clins d’œil aux lecteurs fidèles… Serait-ce une forme de conversation indirecte avec vos lecteurs ?
J’ai surtout écrit des fictions, en parlant très peu de moi. Ce roman est particulier car il raconte tout autant le destin d’une famille que le rapport d’un écrivain à ses personnages. C’est donc aussi une réflexion sur la façon dont je construis un roman, et ce qui me paraît essentiel.
J’évoque ainsi certains éléments de ma vie littéraire. J’aime l’idée qu’en parlant des autres, en commentant leurs actions, en émettant une opinion sur leurs gestes, on en vient forcément à se dévoiler.

En mettant des mots sur les non-dits, les personnages trouvent une sérénité nouvelle. Avez-vous envie de dire aux lecteurs quelque chose comme « se parler, c’est vivre », ou « le silence est mortifère » ?
Oh je ne me permettrais jamais de considérer le roman comme un chemin pour émettre une sorte de conseil ! Je pense qu’il n’y a jamais d’attitude type, que chaque action résonne d’une manière différente pour chacun. En tout cas, on se rend compte en suivant ces personnages que toute vie est faite de non-dits, et que chaque famille est un tombeau à secrets. Le roman va tenter de les éclaircir. La seule morale est finalement qu’un intrus (et plus particulièrement un écrivain) dans un groupe de personnes interfère dans chaque destin simplement à la force de son regard. À partir du moment où le narrateur entre dans la vie des Martin, tout explose. Alors c’est peut-être ça que je veux dire dans ce livre : ne laissez jamais un écrivain entrer dans votre famille !

Entretien réalisé avec David Foenkinos à l'occasion de la parution de La famille Martin.

© Gallimard.