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Le train d'Erlingen ou La metamorphose de Dieu de Boualem Sansal. Entretien

« Le lecteur jugera en fonction de ce qu’il voit autour de lui. Au bout, il tirera de ce récit l’une ou l’autre morale : la première est que le monde est un, il s’y déroule la même éternelle histoire, la quête du bonheur qui jette les gens sur les routes de la vie où les attend plus souvent le malheur que la félicité ; l’autre leçon est que l’Histoire ne sait rien de l’avenir et qu’il peut arriver n’importe quoi, les mêmes ingrédients ne font pas forcément la même soupe, un train peut en cacher un autre et il n’est pas prouvé, loin de là, que Dieu est le meilleur secours. »

Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, pourquoi ce double titre ?
Le choix d’un titre est difficile. J’étais parti sur le titre La métamorphose de Dieu. C’était grandiloquent, ça me gênait. Puis j’ai opté pour Le train d’Erlingen. Trop prosaïque, ça me gênait aussi. Ensemble, ça marchait bien. Le fait que ça renvoie à l’Allemagne par le nom Erlingen et à la Shoah par le train, posait quelque part la question de Dieu et de sa responsabilité. Ça résume bien le livre.

Vous définissez le roman comme une « chronique sur les temps qui courent ». Qu’entendez-vous par cette formule ?
Rien de nouveau sous le soleil. Nous vivons les mêmes événements qui ont conduit aux grandes migrations du passé, à la montée des fascismes, aux guerres mondiales, aux folies religieuses, aux grandes défaites morales. Le roman en fait la recension.

Vous renvoyez dos à dos les fanatiques et les « mauviettes » de la « mondialisation matérialiste heureuse ». Est-ce aussi simple ?
Mon idée n’est pas d’ignorer les choses parce que je ne les comprends pas. Je veux au contraire y regarder de près, les déconstruire et chercher dans les interstices des explications plus vraies. La raison n’a pas disparu, il faut bien la chercher.

En écrivant « Nulle odeur n’est plus mortifère que celle de l’argent et de l’encens réunis », qui visez-vous ?
Je vise davantage des milieux que des pays. Je pointe ces oligarchies sectaires détentrices d’un pouvoir absolu obtenu par la manipulation de l’argent et de la religion. Elles sont en Amérique et dans le Golfe mais pas seulement, la sainte alliance gagne du terrain.

Vous évoquez un mystérieux « Livre des trois imposteurs : Moïse, Jésus, Mahomet ». Peut-on voir là une condamnation des monothéismes, qui seraient par essence vecteurs de fanatisme ?
Les religions sont des épines dans la conscience de l’homme. Leur bilan historique n’est guère reluisant. Il est temps de changer d’angle de vue, et de se montrer très méfiants à leur égard, elles sont terriblement malignes. L’homme doit accomplir son destin et non celui des dieux.

Vous convoquez au fil des pages de nombreux écrivains, mais vous placez Thoreau au-dessus de tous. Pensez-vous qu’il nous indique une voie pour sortir de l’impasse ?
Thoreau est un champion de l’écologie de la vie. Notre temps dramatiquement perclus d’addictions a un besoin urgent de ce genre de héros. Je milite pour qu’on le redécouvre. Michel Onfray lui a consacré un livre et Philippe Djian un site, c’est bien.

Peut-on lire le roman comme un avertissement sévère à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, acceptent la soumission ?
Il faut avertir les gens avant qu’ils tombent dans la soumission. Après, c’est trop tard. Le roman appelle de même à combattre les vendeurs de soumission et les idiots utiles qui les encouragent par leurs sourires obséquieux.

Entretien réalisé avec Boualem Sansal à l'occasion de la parution du Train d'Erlingen ou La metamorphose de Dieu.

© Gallimard.