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L'enfer sur papier bible : Sade dans la « Pléiade »

Ses textes ont longtemps été considérés comme des documents à réserver aux médecins, aux juristes ou aux amateurs de curiosa. Il fallait être Apollinaire pour penser que l’écrivain Sade, « qui parut ne compter pour rien durant tout le XIXe siècle », pourrait « dominer le XXe ». Encore la prédiction serait-elle restée lettre morte sans les éditeurs courageux, les Heine, Lely, Pauvert, qui ouvrirent la voie. Avec l’entrée de Sade dans la Pléiade, en 1990, un nouveau cap est franchi. Le texte des œuvres est établi dans le respect de la langue de l’écrivain, les illustrations originales sont reproduites et décrites, l’annotation permet de situer l’auteur dans l’imaginaire de son temps. Et, faut-il s’en étonner ? Le sérieux de l’édition n’édulcore pas l’œuvre ni ne réduit l’effet de sidération qui accompagne sa découverte.

Arrêt sur image

Affiche de librairie pour le premier tome des Œuvres de Sade dans la Pléiade, 1990. Archives Éditions Gallimard

Affiche de librairie pour le premier
tome des Œuvres de Sade dans
la « Pléiade », novembre 1990.

Dans la « Pléiade », l’image n’est jamais ajoutée au texte. Quelles que soient ses qualités esthétiques, elle n’est pas un ornement ou, plus exactement, sa valeur ornementale n’est pas un critère. Le critère, le voici : lorsqu’on prépare une édition, on choisit pour chaque œuvre [...] un texte de référence, qui est souvent (mais pas toujours) celui de l’édition originale ou celui de la dernière édition revue par l’auteur. Si l’édition choisie comporte des illustrations, celles-ci (et aucune autre) peuvent être insérées à leur place dans le texte de la « Pléiade » ; si elle n’en comporte pas, on n’en ajoute pas.
De plus, on ne retient pas systématiquement les illustrations de l’édition dont on suit le texte. On les élimine généralement si elles ne sont que de circonstance, si elles n’ont pas été réalisées spécialement pour l’édition considérée, ou si, dépourvues de lien organique avec l’œuvre, elles ne servent qu’à conférer du prix à un livre de luxe. Si, en revanche, elles ont été voulues, conçues, voire réalisées par l’auteur, si elles sont consubstantielles au texte, si elles l’ont toujours accompagné, au point d’en faire partie, elles seront reproduites. Il s’agit en somme de redonner à l’illustration toute son importance.

Frontispice allégorique de Justine ou Les Malheurs de la vertu de Sade dans la Pléiade (tome II).

Dans la Notice de Justine ou Les Malheurs de la vertu, au tome II des Œuvresde Sade, Michel Delon montre que les écrivains du XVIIIe siècle accordent une attention de plus en plus soutenue aux gravures, qu’ils estiment faire partie intégrante de leurs livres. Sade ne manque jamais de donner aux imprimeurs des instructions relatives aux images à insérer dans ses œuvres. En tête de Justine, il place un frontispice allégorique qu’il prend la peine de commenter dans une « Explication de l’estampe ». Et les éditions de La Nouvelle Justine et de Juliette paraissent ornées « de cent sujets gravés avec soin ». Comme le note Michel Delon, « l’illustration du roman est à la hauteur de l’ambition à la fois libertine et littéraire de Sade, libertine car le libertinage suppose le luxe, littéraire car la gravure complète un style qui veut faire tableau ». Les « cent sujets » ont donc été reproduits dans la Pléiade.

Extrait de « Les coulisses de la Pléiade. Arrêt sur images », dans La Lettre de la Pléiade, février-mars 2007.

Œuvres de Sade dans la Pléiade. Archives Éditions Gallimard

Sur le site

› Bicentenaire de la mort de Sade

Indications bibliographiques
 

  • D.A.F. de Sade. Justine et autres romans , Gallimard, 2014 (« Bibliothèque de la Pléiade »)
  • D.A.F. de Sade. Œuvres, I , Gallimard, 1990 (« Bibliothèque de la Pléiade »)
  • D.A.F. de Sade. Œuvres, II , Gallimard, 1995 (« Bibliothèque de la Pléiade »)
  • D.A.F. de Sade. Œuvres, III , Gallimard, 1998 (« Bibliothèque de la Pléiade »)

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