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Collection Bibliothèque des Sciences humaines

Le terme de sciences humaines fait son entrée officielle à l'Université en 1958. Il est porté par une grande génération de chercheurs et par une communauté d'étudiants en pleine expansion. Il est d'usage d'associer à cet essor, deux ans avant que n'éclatent les événements de 1968, la création de la «Bibliothèque des Sciences humaines». Le besoin s'était tôt fait sentir d'un ou plusieurs guichets éditoriaux pouvant donner figure et audience à un phénomène pluridisciplinaire. Certes, chacune des disciplines lui préexistait et des collections spécialisées étaient déjà en place chez divers éditeurs, notamment chez Gallimard («L'Espèce humaine» de Leiris pour l'ethnologie). Mais les conditions d'une interaction disciplinaire semblaient être enfin réunies par la redéfinition même de leur objet et de leurs méthodes. «C'est tout un continent intellectuel qui surgit en deux ans» se souvient Marcel Gauchet, avec les publications presque concomitantes de textes fondateurs de Michel Foucault (Les Mots et les choses, 1966 ; L'Archéologie du savoir, 1969 dans la «Bibliothèque des Sciences humaines»), Lacan, Derrida et Barthes (chez d'autres éditeurs). Filons la métaphore : on assiste à un séisme épistémologique, critique, d'une amplitude inouïe et qui trouvera sa résonance sur le terrain social et politique… et sur la durée. L'enthousiasme et la mobilisation intellectuelles sont à leur comble ; en librairie comme dans les médias, on assiste à un «transfert de prestige» de la littérature sur les sciences humaines ; les livres les plus arides rencontrent des succès à faire pâlir Cassandre — et plus d'un libraire et d'un éditeur d'aujourd'hui…

Création : 1966
Nombre de titres parus : 180
Nombre d'auteurs édités : 112 (hors collectif)
Ventes depuis parution : 1 222 700 millions d'ex.
Meilleure vente : Michel Foucault. Les Mots et les choses (1966) : 116 350 ex.

Le premier titre :
Émile Benveniste. Problèmes de linguitique générale, I (1966)

Toutes les parutions

«Je me souviens de Benveniste quand, trois semaines après la sortie de son livre, je lui ai téléphoné pour lui dire : "Monsieur, on réimprime". Il m'a répondu : "Monsieur, vous mentez", et ensuite : "Monsieur, je m'assieds et je tiens mon cœur". Il avait eu jusqu'à présent deux étudiants en tout et pour tout. En un an, il a eu soixante élèves à son séminaire du Collège de France.» (Entretien avec Pierre Nora, dans Entreprises et Histoire, juin 2000, n° 24)

D'hier à aujourd'hui

L'historien Pierre Nora est appelé par Gallimard en 1965 pour restructurer le secteur de la «non-fiction». Il s'agit notamment de ranimer la «Bibliothèque des Idées», de créer une collection jumelle pour les sciences humaines (rejointe en 1971 par la «Bibliothèque des Histoires») et de convaincre J.B. Pontalis d'adopter une maquette proche de celles des autres «Bibliothèques» pour sa collection de psychanalyse, «Connaissance de l'inconscient» (1967). «La couverture unifiée imposerait les livres sur le marché et deviendrait aussi significative dans l'histoire de la Maison que celle de la collection Blanche». De cette configuration, on retiendra une distribution assez cohérente des disciplines — et donc des auteurs — par collection, que viendra encore préciser «NRF Essais» après 1988.
C'est un signe : le premier tome des Problèmes de linguistique générale d'Émile Benveniste, qui s'inscrit dans le prolongement intellectuel des thèses de Ferdinand de Saussure, inaugure la collection, suivi par Ethnologie et langage de Geneviève Calame-Griaule. L'émergence du structuralisme en ethnologie et en linguistique, sous-tendu par l'idée que l'analyse du langage allait pouvoir unifier toutes les sciences de l'homme, allait être un premier élément de structuration. En publiant, par exemple, des œuvres «comparatistes» de l'anthropologue Louis Dumont ou de l'historien des mythes et des religions Georges Dumézil, l'auteur le plus représenté dans cette «Bibliothèque» choisie, la collection s'inscrit nettement dans ce mouvement. De même, avec les travaux de Benveniste et les œuvres de référence des russes Vladimir Propp, précurseur de l'analyse structurale du récit avec sa grammaire formelle des contes, et Iouri Lotman, la collection se rattache d'emblée au grand bouleversement qu'a connu la linguistique et la sémiotique jusque dans les années soixante-dix.
Mais l'ethnologie et l'anthropologie constitue, vingt-cinq ans durant, son champ d'investigation prioritaire, témoignant de la pénétration des théories fonctionnalistes et structuralistes — puis de la vivacité de leur critique. Pierre Nora avait eu en Brice Parain et Michel Leiris de brillants prédécesseurs : Alfred Métraux, Georges Dumézil ou Louis Dumont avaient déjà publié certaines de leur monographie à la NRF. Aussi l'historien prolonge-t-il le travail engagé, rééditant quelques textes (La Tarasque de Dumont) et accueillant les suivants (Homo hierarchicus et Homo aequalis du même, par exemple). Des classiques de la recherche américaine et britannique sont, enfin, donnés en traduction au public français (L'Individu dans sa société de Kardiner, Les Nuer d'Evans-Pritchard, Les Aborigènes australiens d'Elkin…). Ils sont bientôt rejoints par plusieurs monographies dues à des universitaires de la génération suivante, en débat avec le structuralisme de leurs prédécesseurs (anthropologie interprétative de Geerz ; Leach ; Sahlins). L'ethnologie française est quant à elle représentée par des chercheurs de terrain, rattachés aux grandes institutions du moment (Musée de l'homme, EPHE, CNRS, EHESS…) : les africanistes Geneviève Calame-Griaule, Jacqueline Delange, Luc de Heusch, Michel Izard, l'ethnopsychiatre Georges Devereux, l'ethnomusicologue Gilbert Rouget…

La collection donne également une audience toute particulière à des œuvres d'historiens, d'économistes ou de sociologues associant à leur analyse des perspectives et des méthodes anthropologistes. On pense notamment aux études de Marcel Détienne, historien de l'antiquité, ou aux enquêtes régionalistes de Jeanne Favret-Saada ou Yvonne Verdier. L'œuvre majeure de Karl Polanyi, La Grande Transformation, critique radicale du libéralisme écrite en 1944 et traduite en France seulement quarante ans plus tard, peut également s'y rattacher. Elle jouit aujourd'hui d'une audience renouvelée, notamment dans les rangs des altermondialistes. Quant à Erwin Panofsky, c'est à une forme de sémiologie de l'œuvre d'art qu'il nous convie dans ses célèbres Essais d'iconologie, qui mettent en œuvre un dialogue inédit entre histoire culturelle et histoire de l'art. Cette transdisciplinarité est également adopté par Meyer Schapiro, dans Style, artiste et société.
Cette ingérence des problématiques de la sociologie et de l'histoire culturelle se lit tout aussi bien dans les débats qui opposent à la fin des années 1970 les partisans d'une philosophie ou d'une histoire conceptuelle des sciences à une interprétation culturaliste. La traduction des œuvres de Thomas Kuhn est à cet égard déterminante, de même que celles de Gérard Holton, appelant à la réconciliation des deux approches. Les chercheurs eux-mêmes prennent part à ses débats, portant un regard réflexif sur leur activité à l'image de François Jacob (La Logique du vivant en 1970) ou d'Ilya Prigogine, prix Nobel de Chimie, s'alliant à la philosophe Isabelle Stengers pour La Nouvelle alliance (1979), un ouvrage qui fera date. Evelyn Fox Keller, quant à elle, professeur au MIT, interroge dans deux ouvrages les développements contemporains des sciences biologiques dans une perspective épistémologique.
Raymond Aron engage la collection sur le terrain de la sociologie en 1967, avec le volume qu'il consacre à l'histoire intellectuelle de la discipline (et que suivront plusieurs ouvrages de philosophie politique) s'achevant sur l'analyse des théories de Max Weber (1864-1920). La traduction d'œuvres de ce dernier, bien insuffisante jusqu'alors, manifeste un intérêt renouvelé pour ce terrain de recherches, confirmée ces dernières années par la publication d'essais et de recueils d'articles de sociologues français du contemporain comme Lipovetsky, Mendras, Schnapper, Yonnet ou Morel… Avec Max Weber, on touche également à la question du fait religieux, interrogé de multiples façons par plusieurs auteurs de la collection — et tout particulièrement par Marcel Gauchet, dans son articulation avec le politique, dans son désormais classique Désenchantement du monde.
L'économie et la politique bénéficient d'un important programme de traduction (Shonfield, Galbraith, Reynolds…) et de l'entrée en scène d'une histoire philosophique ou sociologique du politique (Lefort, Rosanvallon). L'épistémologie et l'histoire des sciences sociales tiennent une bonne place, on l'a vu, avec les œuvres décisives de Foucault et d'Aron, mais également de Lazarsfeld sur les sciences sociales (1970) ou de Schumpeter sur l'analyse économique (1976).

Brèves

  • En 1978, Georges Dumézil est reçu à l'Académie française ; il répond à Claude Gallimard, alors P-DG des Éditions, qui le félicitait de cette insigne promotion : «Cet incident de parcours est le plus direct effet de la collection des Sciences humaines. Merci.»
  • 1966. Benveniste est dans le bureau de Pierre Nora ; outre qu'il reproche à l'éditeur d'avoir publié Masse et puissance de Canetti, il lui fait remarquer que le titre, correctement traduit, aurait dû être Les Masses et la puissance. Le linguiste avait raison.
  • Parmi les livres dont Pierre Nora est le plus fier d'avoir été l'éditeur, La Logique du vivant de François Jacob (1970) occupe une place particulière : «Il a rendu accessibles au grand public ces sciences rébarbatives que sont les sciences dures».
  • Avec la collection de grande diffusion «Idées» de François Erval (505 titres de 1963 à 1983) et «Les Essais» (245 titres de 1931 à 1987) devenue «Nrf Essais» (sous la responsabilité d'Éric Vigne), les sciences humaines ont d'autres lieux d'expression à la NRF, et non des moindres.

Ils ont fait date  

Raymond Aron. Les Étapes de la pensée sociologique ; Penser la guerre, Clausewitz — Émile Benveniste. Problèmes de linguistique générale — Roger Caillois. Approches de la poésie — Geneviève Calame-Griaule.Ethnologie et langage — Elias Canetti. Masse et puissance — Marcel Detienne. L'Invention de la mythologie — Georges Dumézil. Mythe et épopée — Louis Dumont. Homo Hierarchicus ; Homo Aequalis — E.E. Evans-Pritchard. Les Nuer — Michel Foucault. Les Mots et les choses ; L'Archéologie du savoir — John Kenneth Galbraith. Le Nouvel État industriel ; La Science économique et l'intérêt général — Marcel Gauchet. Le Désenchantement du monde — Clifford C. Geertz. Bali — E. H. Gombrich. L'Art et l'illusion — François Jacob. La Logique du vivant — Abram Kardiner. L'Individu dans sa société — Thomas S. Kuhn. La Tension essentielle — Claude Lefort. Les Formes de l'histoire

Gilles Lipovetsky. L'Empire de l'éphémère — Iouri Lotman. La Structure du texte artistique — Henri Mendras. La Seconde Révolution française — Erwin Panofsky. Essais d'iconologie — Karl Polanyi. La Grande transformation — Vladimir J.A. Propp. Morphologie du conte — Marshall Sahlins. Âge de pierre, âge d'abondance ; Au cœur des sociétés — Dominique Schnapper. La France de l'intégration — Max Weber. Histoire économique ; Sociologie des religions ; L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme suivi d'autres essais — Paul Yonnet. Jeux, modes et masses…

37 titres repris dans d'autres collections  

23 «Tel» : Introduction à la philosophie de l'histoire ; Les Étapes de la pensée sociologique de Raymond Aron — La Bureaucratie céleste d'Etienne Balazs — Problèmes de linguistique générale d'Emile Benveniste — Masse et puissance d'Elias Canetti — De Vienne à Cambridge — L'Invention de la mythologie ; Apollon le couteau à la main de Marcel Detienne — Essais d'ethnopsychiatrie générale de Georges Devereux — Homo Hierarchicus de Louis Dumont — Les Nuer de E.E. Evans-Pritchard — Les Mots et les choses de Michel Foucault — Le Nouvel État industriel de John Kenneth Galbraith — La Logique du vivant de François Jacob — La Forme et l'intelligible de Robert Klein — L'Afrique fantôme de Michel Leiris — Le Vaudou haïtien d'Alfred Métraux — Marx et les marxistes de Kostas Papaioannou — La Mère dévorante de Denise Paulme — La Musique et la transe de Gilbert Rouget — Style, artiste et société de Meyer Schapiro — Histoire de l'analyse économique de Joseph Aloys Schumpeter — Théorie de la classe de loisir de Thorstein Veblen.

9 «Folio Essais» : Par-delà nature et culture de Philippe Descola — Michel Foucault. Un parcours philosophique de Hubert Dreyfus et Paul Rabinow — Les Mots, la mort, les sorts de Jeanne Favret-Saada — La Crise du libéralisme de Marcel Gauchet — Les Formes de l'histoire de Claude Lefort — L'Empire de l'éphémère de Gilles Lipovetsky — La Seconde Révolution française de Henri Mendras — Les Décisions absurdes de Christian Morel La Nouvelle alliance de Ilya Prigogine et Isabelle Stengers
4 «Quarto» : Mythe et Epopée I, II et III. ; Esquisses de mythologie de Georges Dumézil — Dits et écrits 1954-1975, I ; Dits et écrits 1976-1988, II de Michel Foucault
1 «Livre d'Art» : L'Art et l'illusion de E. H. Gombrich

Les auteurs de la «Bibliothèque des Sciences humaines» ont aussi publié dans...  

«Archives» : Michel Foucault — «Art et artistes» : E. H. Gombrich — «Bibliothèque des Idées» : Raymond Aron — «Bibliothèque des Histoires» : Jacques Berque, Marcel Detienne, Michel Foucault, Marcel Gauchet, Bernard Lewis, Pierre Rosanvallon, Nathan Wachtel, Edgar Wind — «Bibliothèque de la Pléiade» : Michel Leiris — «Bibliothèque de philosophie» : Claude Lefort — «Blanche» : Raymond Aron, Roger Caillois, Georges Dumézil, Michel Foulcault, Michel Leireis — «Le Cabinet des lettrés» : Philippe Pons — «Le Chemin» : Michel Foucault — «Le Débat» : Augustin Berque, Dany-Robert Dufour, Marcel Gauchet, Bernard Lewis, Paul Yonnet — «Du Monde entier» : Elias Canetti — «L'Espèce humaine» : Louis Dumont, Alfred Métraux — «Les Essais» : Raymond Aron, Jean Baudrillard, Jacques Berque, Roger Caillois, Marcel Detienne, Luc de Heusch, Claude Lefort, Gilles Lipovetsky — Hors Série : Raymond Aron, Roger Caillois, John Kenneth Galbraith, E. H. Gombrich, Luc de Heusch, Michel Leiris, Dominique Schnapper

«Idées» : Raymond Aron, Jean Baudrillard, Roger Caillois, Abram Kardiner, Pierre Francastel, John Kenneth Galbraith, Paul Lazarsfeld, Alfred Métraux, Erwin Panofsky, Dominique Schnapper — «L'Infini» : Marcel Detienne, Alain Roger — «Le Langage des contes» : Geneviève Calame-Griaule — «Le Monde actuel» : John Kenneth Galbraith — «Métamorphoses» : Roger Caillois, Michel Leiris — «La Montagne Sainte Geneviève» : Georges Dumézil — «Les Mythes romains» : Georges Dumézil — «NRF Essais» : Gilles Lipovetsky, Dominique Schnapper — «Poésie/Gallimard» : Michel Leiris, Roger Caillois — «Problèmes et documents» : Raymond Aron — «Le Promeneur» : Erwin Panofsky — «L'Univers des Formes» : Jacqueline Delange et Michel Leiris — «Les Vies parallèles» : Michel Foucault

Les auteurs de la «Bibliothèque des Sciences humaines» dans la revue Le Débat

Raymond Aron — Jean Baudrillard — Brigitte Derlon — Philippe Descola — Freeman J. Dyson — Michel Foucault — Marcel Gauchet — Nathalie Heinich — Clarisse Herrenschmidt — Gerald Holton — Paul Jorion — Lucien Karpik

André Lebeau — Bernard Lewis — Ali Mezghani — Christian Morel — Erwin Panofsky — Pierre Rosanvallon — Marshall Sahlins — Alain Testart — Yvonne Verdier — Paul Yonnet

Informations commerciales

Format : 140 x 225 mm.
Nombre de titres disponibles : 126
Nombre de nouveautés dans l'année : 3
Ventes nettes annuelles : 14 100 ex.
Prix public moyen : 25,25 €
Les 5 meilleures ventes du fonds :
Michel Foucault. Les Mots et les choses
Michel Foucault. L'Archéologie du savoir
François Jacob. La Logique du vivant
Émile Benveniste. Problèmes de linguistique générale
Marcel Gauchet. Le Désenchantement du monde

Les données concernant les ventes, les prix publics (TTC) et les réimpressions sont représentatives des quatre dernières années.
Mise à jour : janvier 2016

© Éditions Gallimard