Un homme, chargé par son patron de récolter l'argent que reçoivent les mendiants qui «travaillent» pour ce dernier, se découvre atteint d'une étrange maladie au nombril qui le renvoie tout à coup au souvenir de sa propre enfance et de son jeune frère alors mystérieusement disparu (Porte-Musc) ; un lecteur, sans cesse distrait par la quantité de mouches qui vrombissent autour de sa tête, décrit la stratégie déployée pour en abattre le plus possible à coups de journal (Mouches) ; un meurtrier raconte comment il a fait naufrage et passé sa vie dans l'île de Lorzan peuplée de femmes n'existant que par moitié : à partir de la taille, la moitié haute ou la moitié basse (Entretien avec M. Chakko) ; comment se réveille-t-on un matin, au sortir de rêve agité, transformé dans son lit en
un phallus en érection (La Métamorphose d'Anil Rao) ; à travers le cadre en fer de sa boîte postale, un terroriste guette le corps de la postière qui y glissera un jour la lettre lui ordonnant de passer à l'acte (Le Terroriste).
La vision du monde qui nous est donnée grâce à ces quatorze nouvelles de Vilas Sarang est pour le moins inquiétante. Leur originalité ne vient pas de ce qu'elles nous présentent une Inde pour touristes, avec ses poncifs et son folklore mais, au contraire, de ce qu'elles n'hésitent pas à entreprendre quelques explorations limites aux frontières de la conscience et du corps. Et c'est de cette descente dans l'organique, dans
l'enfer de l'hypocondrie et des archaïsmes, que l'auteur tire paradoxalement cette écriture moderne et rapide, lucide et légèrement sarcastique. Étonnant qu'une telle leçon nous vienne de si loin.