Souvenirs du tir aux hommes

Collection Blanche
Gallimard
Parution
La guerre dure encore dans la chair et dans l'âme de ceux qui l'ont faite. ElIe a marqué plusieurs générations de traits ineffaçables. Souvenirs du tir aux hommes? Ce n'est pas d'une relation exacte qu'il s'agit. Si le cadre général est réel, l'atmosphère véridique, les personnages sont imaginaires. Il n'en reste pas moins que ce livre est presque tout entier nourri d'une expérience personneIle : celle que l'auteur fit au sortir de l'adolescence, pendant ces années violentes où pour des millions d'hommes – chasseurs et gibier d'une battue gigantesque – la grande préoccupation fut d'éviter les baIles et les obus ou d'en placer ; de tirer sur leurs semblables ou d'être tués par eux.
Une des particularités de la guerre, c'est qu'elle révèle intimement l'un à l'autre devant l'épreuve suprême des compagnons d'armes qui, cependant, continuent d'ignorer les circonstances les plus simples de leur vie «normale». C'est que, dans la solitude, elle force chacun de nous à engager un dialogue bouleversant avec les parties les plus lâches et les plus nobles de son être. La guerre n'a pas été l'œuvre des héros. Elle a été faite par une multitude d'hommes qui avaient l'instinct de leur patrie et qui n'en parlaient pas ; elle a été faite par une troupe innombrable où chaque figurant apportait, en entrant dans le cirque, avec ses vertus médiocres, ses manies, sa santé, son espoir, ses passions, des virtualités inconnues de lui-même. Aux premiers chapitres des Souvenirs du tir aux hommes, Pagès se lamente sur sa déchéance de cavalier à pied, tandis que Witzig, cassé jadis, risque sa peau et celle des autres «pour remonter l'échelle» ; aux derniers, le jeune Davier, en suivant une attaque d'infanterie, s'aperçoit qu'il est déjà un vieux professionnel ; dans l'intervalle l'«aspi» Bettino et le capitaine Sénèque sont morts, l'un sans avoir jamais rien connu de la vie, l'autre traînant le souvenir d'une femme. Héros? Non. Mais acteurs d'un drame qui s'étend depuis la guerre de tranchées et les torpilles de 1915 jusqu'à la tuerie de l'été 1918.
«De tous les sentiments qui m'ont poussé à rompre un silence long et presque obstiné, écrit Pierre Frédérix, le plus puissant n'a pas été celui de la jeunesse qui s'éloigne ni la crainte de l'oubli. C'est l'angoisse qui de nouveau, par moments, étreint tous les peuples. C'est le trouble que j'éprouve à l'idée d'une seconde explosion, qui renverserait les constructions assez branlantes où la première nous a précipités. Serait-il possible que le plus clair de notre existence soit compris entre deux hécatombes?» Combattant de guerre nationale ou de guerre civile, l'homme en tous cas reste ce qu'il est ; selon le mot de Pascal «un milieu entre rien et tout».