Soldat

Collection Blanche
Gallimard
Parution
«En l'an vingt et cinquième de mon âge et tous sursis d'incorporation abolis, je fus mis, durant un an, comme tout jeune Français en âge de porter les armes, à la rude école de la caserne. Six mois de peloton furent passés à préparer involontairement Saint-Cyr sous la direction d'un caporal-chef russe, ancien sergent de la Légion étrangère, surnommé par son lieutenant même, Ivan le Terrible. Au sortir du dit peloton je fus promu caporal et obligé de coudre mes galons pour enterrer solennellement le président Doumer. Six mois chef d'escouade et de chambrée dans l'infanterie coloniale où sont en grosse majorité les soldats de métier, ivognes, voleurs, maquereaux et pédérastes à leurs heures. Au demeurant, les meilleurs fils du monde. Certains d'entre eux, d'ailleurs, il faut le reconnaître, étaient d'excellents camarades, d'une honnêteté scupuleuse. Tous très faciles à vivre quand on savait les prendre, c'est-à-dire quand, n'étant pas fauché, on pouvait leur payer le vin blanc qui est le nerf de la paix.
Ce sont eux que j'ai voulu peindre dans ce livre d'où je me suis volontairement effacé pour les laisser agir. J'ai essayé avant tout de préserver leur langage pittoresque, rabelaisien et défiant parfois l'honnêteté. Car, malgré tout le respect que j'éprouve pour la mémoire de Courteline, je regrette qu'il ait réduit cette langue étonnante à des expressions comme "Peau de zébie" ou "La soupe ne vaut pas un clou". Il y a mieux, comme vous le verrez.
Ceci dit pour me conformer à l'usage de la "prière d'insérer". C'est à vous, futurs trente-huit millions de lecteurs ou trente-huit millions de lecteurs futurs qu'il appartient de juger ce que j'ai fait. Ce livre ne m'appartient plus : je vous le donne. Inutile de dire que j'ai mis là ma chair et mon sang. Toutefois je pourrais répéter moi aussi, après le héros soldat de Kipling :

J'ai payé ce que j'ai appris
Sans jamais discuter le prix.
À la tôle, les pieds sans souliers
J'admirais comment va le monde.


Maurice Fombeure.