Gallimard
Parution
Toutes les notions qui permettent de penser la littérature – auteur, lecteur, texte, genre, plagiat, parodie, humour, ironie – sont mises à la question par Lautréamont. Il nous requiert d’abord par une révolte majeure. Il nous intrigue non moins par les procédés auxquels il a recouru pour la dire : sa technique de combat. Et il nous aide à concevoir ce qu’est la fiction moderne. Mais combien de lecteurs a-t-il touché en son temps? Une dizaine peut-être. Ouvrages non diffusés, mort précoce : les conditions d’un oubli définitif étaient réunies. Il y eut pourtant renaissance, grâce à des entremetteurs avisés, et à des rééditions, comme celle des Poésies dont André Breton alla recopier à la Bibliothèque nationale les seuls exemplaires alors connus. Au fil des ans, le nombre des lecteurs s’est accru. Et parmi eux des écrivains, accompagnateurs distants ou prosélytes inconditionnels, ont reconstruit Lautréamont en édifiant leur œuvre propre. C’est pourquoi ce volume leur fait place : il propose une édition nouvelle de l’œuvre – parue sous l’anonyme en 1868 (le Chant premier), sous pseudonyme en 1869 (Les Chants de Maldoror par «le comte de Lautréamont»), sous patronyme en 1870 (Poésies I et Poésies II d’Isidore Ducasse) ; puis, dans un dossier de Lectures, il donne la parole aux écrivains : les premiers médiateurs, les surréalistes ensuite, pour qui Lautréamont représente le phénomène littéraire absolu, et enfin tous ceux qui, de Césaire à Le Clézio, de Ponge à Sollers, virent en Ducasse une pierre de touche. D’autres consciences, dans l’avenir, approcheront ces textes. Le mauvais esprit des Chants ne peut que provoquer une riposte. Et le ton formulaire des Poésies en fait un vocabulaire pour le futur. Un tel «Grand Combat» n’a pas de raisons de cesser. L’œuvre, pourtant, «s’échappe quand même» (Le Clézio). Sa violence, ses blasphèmes, ses perversions, son «cri d’ironie immense» couvrent à jamais Ducasse, irrégulier devenu régulateur, d’une enveloppe d’authentique mystère.