Le Prophète muet
Trad. de l'allemand (Autriche) par Michel-François Demet. Postface de Werner Lengning
Collection Du monde entier
Gallimard
Parution
Les amis de Joseph Roth ont longtemps soutenu qu’il avait laissé un roman sur Trotsky. Le manuscrit de ce roman, datant des années 1928-1929, fut retrouvé en 1963 aux États-Unis. Le prophète muet ou, comme Joseph Roth l’intitula parfois, Friedrich Kargan, roman d’un jeune révolutionnaire, ne peut toutefois sans abus être tenu pour un «roman sur Trotsky». Il est vrai que le jeune Kargan, après avoir vécu dans les milieux de l’émigration communiste russe et avoir connu la Sibérie tsariste, participe à la Révolution de 1917 et devient l’un de ses chefs. Vrai aussi qu’il n’a cessé de détester Savelli, portrait transparent de Staline, et d’en être haï. Mais le parallèle ne saurait aller au-delà.
En vérité, Friedrich Kargan, plus proche peut-être de l’auteur lui-même que de Léon Trotsky, incarne le destin d’innombrables intellectuels européens qui, entre les années 1910 et 1930, durent vivre non seulement le drame de la disparition des «valeurs individuelles», mais aussi celle du romantisme révolutionnaire condamné au nom de l’efficacité pratique et du rationalisme technicien.
Le tableau de la vie des révolutionnaires émigrés en Suisse, leurs discussions dans les cafés de Vienne, le récit de l’initiation de Friedrich à l’action clandestine et de ses incursions dans «le beau monde», d’où naîtra une histoire d’amour, l’admirable amitié qui le lie à Berzeïev, et qui est la seule permanence de cette vie et de ce livre, font du Prophète muet une véritable Éducation politico-sentimentale des années vingt.