Le Blé en herbe et autres écrits

. Tirage spécial
Gallimard
Parution
Claudine à l’école est le grand succès de mars 1900. Le livre est signé Willy. On sait généralement qu’il s’agit du pseudonyme d’Henry Gauthier-Villars, qui l’utilise pour signer les productions de l’atelier qui lui écrit ses ouvrages. Cette fois, pourtant, le texte sort du lot. Il ne ressemble à rien de connu, la langue est nouvelle, le ton insolent, le propos scandaleux. C’est qu’il n’est pas de la plume d’un des scribes habituels de Willy : il est de sa jeune femme, Sidonie-Gabrielle, née Colette.
Colette : il faudra attendre 1923 et Le Blé en herbe pour que ce nom apparaisse seul sur la couverture d’un livre. Avant cela, il y aura eu d’autres « Willy », des « Colette Willy » et même des « Colette (Colette Willy) ». Mais on a vite compris. Catulle Mendès écrit à Colette : « vous avez créé un type ». Claudine en effet est un type, et elle deviendra un mythe. Colette en créera d’autres : celui de Sido, sa mère, « le personnage principal de toute [s]a vie » ; celui de Gigi, jeune fille élevée pour devenir une femme entretenue et qui échappe à ce destin ; et celui de Colette elle-même, qui se construit au fil de plusieurs vies – elle fut danseuse, mime, actrice, journaliste, directrice d’un institut de beauté, publicitaire… comme si la littérature ne pouvait suffire à lui assurer l’indépendance et la liberté qui sont, avec l’aptitude au plaisir, ses valeurs les plus hautes. Des tenues succinctes portées sur la scène du Moulin Rouge à la croix de grand-officier de la Légion d’honneur reçue en 1953, la ligne droite n’est pas le chemin le plus court. Mais l’œuvre de Colette s’est nourrie de ce sinueux parcours.
Colette appelle « littérature » tout ce qu’elle n’ai me pas : l’emphase, la « ciselure » et les idées générales, qui lui vont aussi mal, dit-elle, que les chapeaux empanachés. L’année du Blé en herbe, elle déclare à Simenon : « Supprimez toute la littérature, et ça ira. » « C’est le conseil qui m’a le plus servi dans ma vie », dira le romancier. C’est aussi ce qui préserve l’œuvre de Colette du vieillissement. L’ouverture de Chéri, en 1920, a époustouflé les lecteurs. Cent ans plus tard, on l’admire toujours. Mais le style ne serait rien s’il n’était au service d’un regard d’une extraordinaire sensibilité.
Colette, nous dit Antoine Compagnon, rend présents « le monde de l’enfance, l’étoffe de la sensation, l’émotion de la mémoire ». On la crédite aussi d’avoir été « la première femme qui ait vraiment écrit en femme » (A. Maurois), la première à explorer ainsi les amours adolescentes (Le Blé en herbe), à entretenir une réelle connivence avec la nature et « les bêtes », à poser ce qu’on appellera la question du « genre » (dans Le Pur et l’Impur, en 1941), etc. Mais ce sont ces trois domaines – l’enfance, la sensation, la mémoire – qu’il faut retenir si l’on veut lui rendre justice. Elle les partage avec Proust, dont elle admira « Combray » et qui pleura, dit-il, à la lecture de Mitsou (1919). Sans doute aurait-il été également sensible, s’il avait vécu, à La Fin de Chéri (1926), et à la conception du Temps qui s’y fait jour.