Jean Prévost

La Terre est aux hommes

Gallimard
Parution
«La politique qu'on nomme à tort étrangère est dominée en ce moment par trois problèmes : d'une part désir d'expansion de l'Allemagne et national-socialisme ; d'autre part, besoin d'expansion de l'Italie et fascisme ; enfin, expansion et impérialisme japonais.
Ces problèmes sont absolument insolubles par les méthodes communes de la politique. D'autre part, alors que jusqu'à présent, dans l'histoire du monde, seules les aristocraties étaient conquérantes, on voit en Italie, au Japon et en Allemagne un prolétariat se solidariser avec l'esprit de conquête. Une mentalité si neuve dépend-elle, par le monde entier, d'un état de choses nouveau?
La vie économique du monde, d'autre part, présente une crise d'un caractère nouveau : ce n'est plus seulement un recul de la spéculation, un effondrement du crédit, qui doit être suivi d'une reprise après l'assainissement du marché. Il y a surabondance de matières premières, surabondance de produits alimentaires dans les pays neufs, et cependant la misère réapparaît dans les vieux pays. Il y a surabondance de produits fabriqués, mais le progrès de la civilisation matérielle dans les pays neufs semble presque arrêté. Pour celui qui regarde notre civilisation matérielle d'un point de vue humain plus que d'un point de vue économique, la production croissante de la camelote, le déclin de l'activité constructive semblent annoncer un déclin de notre civilisation.
Peut-on accuser la dernière guerre? Elle n'expliquerait pas cette apparence surabondante ; elle n'expliquerait pas pourquoi les pays que la guerre a enrichis ont été les premiers touchés par la crise.
Peut-on en accuser, comme le font les États-Unis, les malentendus de l'Europe? Nul n'est parvenu à expliquer comment l'unité de l'Europe aurait évité l'excédent des matières premières en Amérique du Sud, ou la crise des États-Unis qui devança la crise européenne.
Il m'a paru que ces faits d'apparence si diverse avaient une même cause. Si l'histoire politique ne nous cachait pas l'histoire vraie, nous pourrions résumer l'histoire du dix-neuvième siècle comme un vaste mouvement de la race blanche vers les pays neufs. Ce mouvement aurait dû normalement continuer pendant la première moitié du vingtième siècle. La stabilisation de la population, accomplie d'abord en France, puis en Angleterre, en voie de s'accomplir naturellement chez les peuples encore trop prolifiques, y aurait mis une fin avant que la terre ne fût pleine.
Pour des avantages illusoires, à court terme, les États-Unis, puis les autres pays neufs ont arrêté artificiellement ce mouvement migrateur.
On pourrait dire qu'ils en ont été les premiers punis, s'il y avait eu là une volonté de nuire, et si le reste de la race blanche n'en avait pas, presque en même temps, supporté le contre-coup.
Et je n'ai pas écrit ce livre pour répondre, par une accusation mieux fondée, aux reproches d'incohérence et de folie que les États-Unis prodiguent au vieux monde. Le vieux monde est aussi égoïste, aussi imprévoyant que les États-Unis, et il aurait sans doute, dans les mêmes circonstances, commis la même erreur : certains pays ont tout fait pour aggraver chez eux-mêmes les conséquences.
Mais ces problèmes que l'on ne peut résoudre, si graves en ce moment que tous les efforts du monde semblent retarder la guerre, sans la conjurer, on pourrait les dissoudre, sans changements de frontières, sans blessures profondes à l'amour-propre d'aucune nation, et même, probablement, sans violentes secousses économiques.
Ce livre ne sera rien s'il n'est pas aidé : il ne compte sur l'appui d'aucun parti, d'aucune opinion régnante. Je souhaite de tout mon cœur qu'il soit discuté, dépassé, méconnu, que des hommes plus influents que moi s'en approprient les idées ; que des enquêteurs plus riches, suivis de toute une équipe, fassent succéder à ce mince ouvrage des collections d'in-quarto
Jean Prévost.
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