L'extravagante punie

«Pierre Lièvre, qu'on ait considéré en lui jusqu'à ce jour le critique, le romancier ou l'essayiste, a toujours été classé avec juste raison parmi les moralistes. Lui-même tenait assez à ce titre pour réunir sous l'appellation d'Ouvrages galants et moraux les trois dialogues qui forment le cœur profond et subtil de tout ce qu'il a écrit. Mais peut-être allait-il jusqu'à ce jour entendre surtout que l'auteur était un peintre impitoyable des mœurs et non point que ses livres regorgeaient d'exemples de morale. Avec L'extravagante punie, on ne saurait distinguer si exactement entre les deux sens : Pierre Lièvre s'y montre moraliste dans toute la force du terme. Jamais on n'a mieux représenté que dans ce petit livre la vie bourgeoise à Paris dans les années d'avant-guerre et jamais on n'a donné d'illustration plus saisissante de ce vieux proverbe : Tel cuide engeigner autrui qui souvent s'engeigne soi-même.
Avant toutefois d'atteindre cette conclusion exemplaire, que de détours imprévus, que de détails curieux, que de scènes attachantes! Et ce n'est pas seulement par son anecdote – qui sait pourtant sortir de l'ordinaire en racontant un simple et audacieux cas de divorce – que ce petit roman est neuf, mais encore par la manière dont l'auteur conduit le récit. Il ne raconte pas à proprement parler une histoire, il nous expose tout au plus comment il conviendrait de s'y prendre pour rendre avec exactitude le cadre, pour reconstituer l'atmosphère, pour atteindre une exacte psychologie. Ce procédé quelque peu nonchalant semble esquiver la difficulté ; il ne fait en réalité que la souligner. Aux yeux d'un connaisseur ce petit ouvrage n'en apparaîtra que plus pleinement réussi.»
Henri Martineau.