Voyages extraordinaires
L'École des Robinsons et autres romans
Édition publiée sous la direction de Jean-Luc Steinmetz. Avec la collaboration de Jacques-Remi Dahan, Marie-Hélène Huet et Henri Scepi
Gallimard
Parution
Jules Verne devenu vieux a raconté son expérience de jeune Robinson. Quand sa yole fait eau puis « coule à pic », il se réfugie sur un îlot et songe aussitôt à bâtir une cabane, à pêcher, à faire du feu. Cela ne dure que le temps d’une marée. L’îlot ne se trouve pas au milieu de l’océan, mais dans l’estuaire de la Loire. Lorsque le naufragé regagne « le continent » – la rive droite du fleuve –, l’eau ne lui arrive qu’à la cheville.
L’histoire n’est peut-être que la séquelle des lectures de Verne : « Les Robinsons ont été les livres de mon enfance, et j’en ai gardé un impérissable souvenir. » On y croira pourtant si, comme lui, et après avoir fait les mêmes lectures – le Robinson Crusoé de Defoe et Le Robinson suisse de Wyss –, on est fasciné par ce monde neuf, ouverture large et soudaine du champ des possibles, qu’est l’île déserte, lieu à reconnaître, aménager, exploiter, défendre – puis à quitter, grandi, changé, pour regagner le continent et y vivre d’une vie nouvelle. Le premier essai de Verne sur ce thème aux variations infinies – « il faut absolument que j’en fasse un » – s’intitulait L’Oncle Robinson. Hetzel se montra sévère (mais juste) : l’auteur remisa son manuscrit, non sans en utiliser des éléments dans L’Île mystérieuse (1875 ; déjà disponible dans la Pléiade). Il reviendrait à trois reprises sur le sujet.
Avec L’École des Robinsons (1882), la fantaisie s’invite dans le drame et la fiction dans la fiction. Le duo formé du jeune Godfrey et de son professeur de maintien (!) passe de bonne foi par toutes les étapes obligées du genre, quête d’un logis, épreuve de la faim, cueillette, chasse, pêche, jusqu’à l’accueil d’un Vendredi, l’étrange Caréfinotu. Mais le naufrage ne devait rien à la cruauté des éléments : il avait été fomenté à des fi ns de formation. L’École est la déconstruction joueuse du Crusoé originel, une « métarobinsonnade ».
Dans Deux ans de vacances (1888), le souvenir des textes canoniques, Defoe et Wyss, demeure présent ; le personnage nommé Service ne jure que par eux. Cette fois, les naufragés sont les élèves d’un pensionnat. Ils s’organisent, se déchirent, se retrouvent et se ressoudent face à une menace extérieure, l’arrivée de malfaiteurs qui – cela n’échappe pas à Service – sont « comme qui dirait les sauvages de Robinson ». Bien que William Golding ne l’ait jamais reconnu, Sa Majesté des mouches se souviendra de la force de ce roman.
Puis Verne revient à Wyss, pour donner au Robinson suisse une continuation, Seconde patrie (1900), qu’autonomise un art consommé de la construction. Les circonstances reconduisent certains des Robinsons de Wyss dans l’île qui les avait une première fois accueillis et où les attendent de nouvelles péripéties. L’aventure y gagne ce qu’y perd la vraisemblance. Livre né d’un livre, entre héritage et invention, ce roman inactuel – c’est aussi le récit d’une colonisation heureuse – illustre la fécondité du genre au tournant du XXᵉ siècle. Plus près de nous, William Golding, Michel Tournier ou Patrick Chamoiseau en apporteront de nouvelles preuves.
L’histoire n’est peut-être que la séquelle des lectures de Verne : « Les Robinsons ont été les livres de mon enfance, et j’en ai gardé un impérissable souvenir. » On y croira pourtant si, comme lui, et après avoir fait les mêmes lectures – le Robinson Crusoé de Defoe et Le Robinson suisse de Wyss –, on est fasciné par ce monde neuf, ouverture large et soudaine du champ des possibles, qu’est l’île déserte, lieu à reconnaître, aménager, exploiter, défendre – puis à quitter, grandi, changé, pour regagner le continent et y vivre d’une vie nouvelle. Le premier essai de Verne sur ce thème aux variations infinies – « il faut absolument que j’en fasse un » – s’intitulait L’Oncle Robinson. Hetzel se montra sévère (mais juste) : l’auteur remisa son manuscrit, non sans en utiliser des éléments dans L’Île mystérieuse (1875 ; déjà disponible dans la Pléiade). Il reviendrait à trois reprises sur le sujet.
Avec L’École des Robinsons (1882), la fantaisie s’invite dans le drame et la fiction dans la fiction. Le duo formé du jeune Godfrey et de son professeur de maintien (!) passe de bonne foi par toutes les étapes obligées du genre, quête d’un logis, épreuve de la faim, cueillette, chasse, pêche, jusqu’à l’accueil d’un Vendredi, l’étrange Caréfinotu. Mais le naufrage ne devait rien à la cruauté des éléments : il avait été fomenté à des fi ns de formation. L’École est la déconstruction joueuse du Crusoé originel, une « métarobinsonnade ».
Dans Deux ans de vacances (1888), le souvenir des textes canoniques, Defoe et Wyss, demeure présent ; le personnage nommé Service ne jure que par eux. Cette fois, les naufragés sont les élèves d’un pensionnat. Ils s’organisent, se déchirent, se retrouvent et se ressoudent face à une menace extérieure, l’arrivée de malfaiteurs qui – cela n’échappe pas à Service – sont « comme qui dirait les sauvages de Robinson ». Bien que William Golding ne l’ait jamais reconnu, Sa Majesté des mouches se souviendra de la force de ce roman.
Puis Verne revient à Wyss, pour donner au Robinson suisse une continuation, Seconde patrie (1900), qu’autonomise un art consommé de la construction. Les circonstances reconduisent certains des Robinsons de Wyss dans l’île qui les avait une première fois accueillis et où les attendent de nouvelles péripéties. L’aventure y gagne ce qu’y perd la vraisemblance. Livre né d’un livre, entre héritage et invention, ce roman inactuel – c’est aussi le récit d’une colonisation heureuse – illustre la fécondité du genre au tournant du XXᵉ siècle. Plus près de nous, William Golding, Michel Tournier ou Patrick Chamoiseau en apporteront de nouvelles preuves.