Augusta

«Toutes les vies nous semblent impossibles à vivre, à l'exception de la nôtre. Il y a des jours où nous pouvons à peine en supporter l'idée. Augusta me paraissait foncièrement abandonnée. Je me la représentais, vaquant à ses affaires, allumant son feu, conduisant son fils à l'école, piquant à la machine, nourrissant son bétail, mangeant et dormant, tout cela sans but, sans motif, sans espoir, sans appétit. Dans ces heures de vision mortelle, nous sommes saisis d'une pitié profonde. Nous esquissons le mouvement d'aller vers les êtres pour leur donner un peu de cette réalité que nous possédons et de laquelle nous les croyons dépourvus. Voilà de fort bons sentiments, je veux bien, mais quel aveuglement et quelle vanterie, de notre part! Nous oublions simplement ceci : que Dieu est Dieu pour tous, que ces gens que nous plaignons ne sont nullement perdus, qu'enfin ils sont peut-être beaucoup plus vivants que nous-mêmes, et que c'est peut-être nous qui, auprès d'eux, faisons figure d'ombres.»
Roger Breuil.