À l'aveugle

Alla cieca
Première parution en 2006
Trad. de l'italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau
Collection Folio (no4813)
Gallimard
Parution
Dans un hôpital de Trieste, jour après jour, un vieil homme se confie à son psychiatre, et tente de recoudre les morceaux de sa vie. Ou plutôt de ses vies. Officiellement, il est Salvatore Cippico, né en 1910, ancien militant communiste, qui, avec deux mille camarades de Monfalcone, est parti bâtir le socialisme en Yougoslavie et a été jeté par Tito dans le bagne de Goli Otok, puis a émigré en Australie. Intimement, il se prend pour le clone de Jorgen Jorgensen, aventurier danois du XIXᵉ siècle, corsaire-écrivain, éphémère roi d'Islande, enfermé par les Anglais dans la Tour de Londres puis déporté en Tasmanie. Mythiquement, il réincarne Jason lancé dans une conquête ambiguë, dans une errance inquiète. Il a – ils ont – vécu les grands événements et bouleversements de deux siècles ; et aimé et abandonné toutes ces femmes qui sont toujours la même, impuissante salvatrice sacrifiée au cynisme des chefs, à l'implacable logique des faits.
Dans ce mémorial picaresque, la voix qui parle est celle de l'éternel rebelle, du mutin, de l'hérétique. Il n'y a pas pour eux de terre promise. L'Histoire – la mort – tire à l'aveugle sur ceux que les dieux dédaignent ; les puissants imposent le silence sur les mensonges, les injustices, les massacres ; et la mer oublieuse ensevelit les témoins, ne rejetant sur le rivage que quelques figures de proue rongées, au regard encore tourné vers d'indicibles catastrophes.
À travers un kaléidoscope effréné de lieux, de situations, de symboles, de coïncidences et de reflets – de Waterloo à Dachau, de la guerre d'Espagne au génocide des Tasmaniens, de Trieste à Reykjavik, d'îles en îles, d'un bagne à l'autre, de toison d'or en drapeau rouge, de faillite des idéologies en dérive des individus –, Claudio Magris nous plonge dans un fascinant roman total, dans une réflexion lyrique et généreuse sur notre temps.