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Rencontre avec Olivier Todd, à l'occasion de la parution de André Malraux Pourquoi Malraux, et pourquoi maintenant ? Olivier Todd Malraux
est l'un des auteurs qui ont fasciné mon enfance et mon adolescence
et qui ont continué à me retenir plus tard. J'avais découvert
L'espoir pendant l'Occupation, en 1943. Je l'ai relu une fois de
plus il y a deux ans, et j'ai vraiment ressenti les mêmes émotions
qu'alors. Quel a été votre point de départ ? Olivier Todd Comme pour la biographie de Camus, je suis parti avec un point de vue neutre sur lui. D'ailleurs, un biographe n'a pas à juger, mais à présenter les faits. Mais j'ai eu beaucoup plus de surprises qu'avec Camus. Je savais bien que Malraux était un peu mythomane, donc menteur, mais à ce point-là, non ! Par exemple ? Olivier Todd Son dossier
militaire, que j'ai eu entre les mains. Il l'a rédigé lui-même
: il s'est attribué des blessures qu'il n'a jamais eues, et il
prétend avoir fait de la Résistance dès 1940. C'est
rude ! Malraux, un mythomane à géométrie variable ? Olivier Todd
J'ai découvert un personnage cyclique. Deux exemples : il se rend
au Cambodge dans sa jeunesse pour « faire de l'argent ». C'était,
quoi qu'on ait pu dire, un pilleur de monuments. Et très vite,
à vingt-quatre ans, il crée en Cochinchine un journal anti-colonialiste
intelligent : le cycle commence de manière négative et se
boucle de façon étonnante, si ce n'est admirable. Quid de sa guerre d'Espagne ? Olivier Todd C'est incontestablement sa meilleure période, parce que ce qu'il écrit coïncide avec ce qu'il est. Il y a bien sûr des « embellissements » : Malraux n'a jamais sauvé Madrid avec sa dizaine d'avions ! Et si la guerre d'Espagne a duré presque quatre ans, il ne l'a faite que sept mois Mais il nous a alors donné le film Sierra de Teruel, que j'ai revu souvent, et qui, à mon avis, tient le coup. Après Les noyers de l'Altenburg, publié en 1943, il cesse d'écrire des romans. Avez-vous découvert pourquoi ? Olivier Todd
Je ne vous cacherais pas qu'il y a pour moi deux grands romans chez Malraux
: L'espoir, malgré le côté plutôt stalinien
de la morale implicite du livre. Et sa propre vie. Ce roman-là,
il n'a jamais cessé de l'écrire. Mais il y a incontestablement
chez lui une perte brutale de créativité littéraire,
suivie de plusieurs tentatives, d'annonces de romans jamais écrits,
d'histoires rocambolesques de manuscrits soi-disant perdus ou saisis par
la Gestapo
Il a même souvent glissé des fragments de
romans inachevés dans ces superbes chroniques romanesques que sont
les Antimémoires. On entre là dans le domaine des rapports entre De Gaulle et Malraux Olivier Todd Des rapports extraordinaires ! En dehors du fait qu'ils s'épataient, mais aussi s'intimidaient l'un l'autre, chacun était ce que l'autre aurait voulu être à tout prix. De Gaulle avait une envie folle d'être considéré comme un écrivain. Inversement, Malraux rêvait d'être un homme d'État. Il a seulement été « ministre d'État », ce qui n'est pas du tout la même chose. De Gaulle s'est gardé de lui donner un ministère important, alors que Malraux se voyait ministre de l'Intérieur, voire aux Affaires étrangères. Difficile d'évoquer Malraux sans parler de ses tics Olivier Todd En effet. Il souffrait d'une maladie rare, le syndrome de Gilles de la Tourette, encore très mal connu, même si des gens comme Mozart et Boswell en étaient affectés. D'où ses tics et son hyperactivité. Ces tics lui conféraient, paradoxalement, un pouvoir de séduction. D'abord, ils fascinaient, puis, souvent, dès qu'il était emporté par ce qu'il disait, ils disparaissaient, ce qui était tout aussi fascinant. Justement, qu'en est-il de Malraux séducteur ? Olivier Todd Malraux
a passé sa vie à dire « je ne m'intéresse pas
». La vérité, c'est qu'il n'y a qu'une seule personne
au monde qui l'intéressait : lui ! Sur le plan personnel, ça
en faisait un handicapé du cur. Ses rapports avec ses femmes
et ses enfants sont extrêmement compliqués, qu'il s'agisse,
pour celles qui ont le plus compté, de Clara Malraux, de Josette
Clotis, de Madeleine Malraux, de Louise de Vilmorin, puis de Sophie de
Vilmorin. Selon vous, comment s'est-il retrouvé au Panthéon ? Olivier Todd Quand il était
jeune, il disait à Clara qu'il allait dresser sa statue. Il l'a
dressée. Maintenant, il s'agit de savoir si la statue est en béton,
en marbre, ou, ici et là, en sable
Tout comptes faits, comment considérez-vous Malraux ? Olivier Todd Il y avait chez cet écrivain l'essentiel chez lui de la folie, du délire, des extravagances, mais pas de mesquinerie. D'une certaine façon, le développement de Malraux s'est arrêté vers l'âge de vingt-cinq ans : comme un grand adolescent, il est toujours resté fasciné par les guerres, les grands hommes, les honneurs, les dîners officiels et tous les hochets du pouvoir Mais je crois aussi qu'il doutait profondément, qu'il a passé sa vie à se rassurer et à être rassuré. Une clé de la vie de Malraux est peut-être cette phrase de La condition humaine : « Ni vrai ni faux, mais vécu ». © www.gallimard.fr, 2001
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