Serhii Plokhy nous parle de La guerre russo-urkrainienne
Que représente la couverture de votre livre?
Elle représente le frère d’un ami qui est l’ancien ambassadeur d’Ukraine au Canada, désormais sous-ministre de la Défense en Ukraine, Andriy Shevchenko. Il m’a fait parvenir cette photo peu de temps après la mort de son frère au combat, le 7 juillet 2022 à Bakhmout.
J’ai fait tout mon possible pour que la mémoire de personnes comme lui soit conservée. Sur la photo, il est en train de lire la traduction ukrainienne de mon livre Forgotten bastards of the Eastern front (Oxford University Press USA, 2019) qui porte sur la présence américaine en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela permet d’établir un lien entre la guerre actuelle et la Seconde Guerre mondiale, car de nombreux parallèles peuvent être faits et sont d’ailleurs verbalisés par de nombreuses personnes. C’est aussi le plus gros conflit militaire en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Sous quel angle votre livre aborde-t-il le sujet de la guerre en Ukraine?
Le livre est une analyse historique de la guerre actuelle, j’essaie de comprendre les raisons et causes qui nous ont amenées à cette guerre et je l’inscris dans le cadre d’une histoire mondiale. C’est une guerre d’indépendance, une guerre contre l’ancien pouvoir impérial qui essaie de rétablir son contrôle sur ses anciennes possessions, mais aussi une guerre qui est en train de redéfinir la nation ukrainienne, comme le font toutes les guerres d’indépendance.
Tout ceci a un écho international et les treize chapitres du livre abordent les retombées en Europe, mais aussi dans le monde entier. Nous sommes dans une situation similaire à celle de la guerre froide et ce que nous avons appris de cette guerre peut être appliqué au conflit actuel:il faut réfléchir aux erreurs qui ont été faites, qui ont mené à la guerre, mais aussi aux bonnes décisions qui ont été prises. Nous avons échappé à une guerre nucléaire et une mondiale. Il faut donc réévaluer tout ce qui s’est passé.
Voilà donc le cœur de l’approche utilisée dans l’ouvrage:j’étudie la guerre actuelle comme le ferait un historien qui se consacre à l’étude des relations entre la Russie et l’Ukraine, mais je me penche également sur la guerre froide et l’Histoire dans sa globalité.
Quelles conclusions tirez-vous de votre analyse?
Je conclus en abordant le nouvel ordre mondial, ce que veut dire le conflit russo-ukrainien et les tendances que tout ça révèle. L’une de ces tendances est notamment la naissance d’une identité ukrainienne plus affirmée et la mort de l’idée selon laquelle l’Ukraine n’est qu’une partie de la Russie, ou une «petite Russie».
J’ouvre sur le changement des relations entre la Russie et l’Europe qui s’opère depuis les années 1970 et sur la réorientation des politiques commerciales et étrangères vers l’Est au détriment de l’Europe. À nouveau, je réfléchis à ce que cela voudrait dire pour la montée en puissance de la Chine et pour les relations sino-américaines. J’ai de nombreuses opinions et j’essaie de les verbaliser du mieux possible, dans des termes compréhensibles : nous savons déjà que cette guerre a des répercussions sur les relations internationales sur le long terme et qu’elle va se prolonger. Ce livre a pour vocation de saisir les tendances actuelles et de construire une réflexion sur ces dernières.