Entretien

Pierre Assouline nous parle de L’annonce

« Ce livre, j’aurais passé un demi-siècle à ne pas l’écrire. Une stratégie d’évitement éprouvée par bien des écrivains. Ce serait L’annonce car tout tournerait autour de ça, ce comment dire, ce comment le dire. Un matin, il s’est imposé d’évidence à moi en dehors de toute réflexion, de tout déclic, de toute incitation, de toute résonance dans l’actualité comme ce fut le cas  pour chacun de mes livres. Juste une insondable question, un désir que rien ni personne ne saurait réprimer. […] Ce livre, j’aurais mis près d’un demi-siècle et douze mois à l’écrire. » 

Comment comprendre ce « demi-siècle et douze mois » d’écriture ?

Ce livre, je l’ai mûri cinquante ans, j’ai commencé à y travailler il y a quarante-cinq ans, mais quand je m’y suis vraiment mis, l’écriture proprement dite m’a pris
douze mois. Cinquante ans jour pour jour, c’est aussi le temps écoulé entre l’événement à l’origine du livre : la guerre du Kippour, déclenchée le 6 octobre 1973, et l’attaque du 7 octobre 2023. 

Vous racontez cette guerre comme si vous l’aviez vécue… 

Tout ce que Raphaël, le narrateur, a vécu, je l’ai vécu ! À quelques pages près, tout ce que je raconte est autobiographique. Au début, je ne prévoyais qu’une seule histoire, celle de mes vingt ans lors de la guerre de Kippour. Puis le 7 octobre 2023 est arrivé alors que j’achevais d’écrire cette première partie, et je me suis dit qu’il devenait impossible de ne pas rajouter une deuxième partie. Je suis alors retourné en Israël pour mieux appréhender la situation, et notamment l’incroyable aptitude des Israéliens à la résilience – mais jusqu’à quand ? Un retour, donc, à la fois pour comprendre Israël et comprendre celui que je suis devenu, à cinquante ans de distance – un regard en arrière en forme de bilan d’une vie.

À vingt ans, vous rencontrez là-bas une jeune femme, Esther, qui vous fait une remarque sibylline : « Tu vois, la mort, ça me rappelle le bureau… »

Esther, qui fait son service militaire, m’apprend que son travail consiste à annoncer aux familles la mort d’un de leurs proches au combat. Malgré le protocole administratif censé protéger psychologiquement l’informatrice, celle-ci prend de plein fouet la douleur des femmes, des parents, des enfants, leur désespoir, leur violence… J’ai parfois accompagné Esther lors de ces visites, et cela m’a profondément marqué. Cette annonce-là, c’est bien sûr « l’annonce » du titre, qui s’est imposé.

Bien vite, le personnage d’Esther s’impose, la guerre passe en arrière-plan…

Ce livre est d’abord un portrait de femme vue à cinquante ans de distance par le narrateur, et elle se montre beaucoup plus importante, beaucoup plus forte, que lui. Une femme très secrète, qui a vécu des moments durs. Pourtant sa petite-fille a choisi de prendre le relais, puisqu’aujourd’hui elle aussi annonce la mort.

Malgré la gravité du sujet, l’humour juif est bien présent…

Disons que c’est à la fois pour détendre l’atmosphère et donner un aperçu de la culture juive, de cette façon très particulière de prendre les choses les plus tragiques avec humour et distance. Il m’a d’ailleurs fallu conserver mon propre sens de l’humour lorsque, parti pour pour aider un pays en guerre envahi par ses voisins, je me suis retrouvé à élever deux mille dindons – enfin, deux mille moins quelques-uns…

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