Entretien

Karine Tuil nous parle de La guerre par d'autres moyens

« Les semaines, les mois, les années qui suivent un échec en politique sont semblables à celles qui s’écoulent après un deuil – pourquoi se mentir ? On croit ne jamais s’en remettre. Chaque sortie publique vous rappelle votre mort sociale. N’être plus qu’un acteur secondaire d’un monde où l’on rayonnait, perdre le pouvoir quand on l’a exercé, est une épreuve existentielle. »

Au centre du roman, le personnage de Dan Lehman, ancien président de la République en apparence déprimé par sa défaite électorale, en fait ravagé par son addiction à l’alcool… Avez-vous eu envie de montrer ce qui se cache derrière le masque du pouvoir ? 

On parle beaucoup de la vie politique, de l’exercice du pouvoir, rarement de ce qui se passe après, dans l’intériorité des anciens présidents, leur vie privée. Comment traversent-ils ce temps du retrait, voire de l’effacement ? Pour Dan Lehman, un an après la défaite, vient l’heure du bilan. Il sombre dans l’alcool ; le couple qu’il forme avec Hilda, une actrice beaucoup plus jeune que lui et avec laquelle il a une petite fille de trois ans, n’est plus qu’une façade. Ce qui m’intéresse, c’est ce point de rupture, ce moment où il est confronté à des dilemmes moraux, à ses propres failles. A-t-il fait les bons choix dans sa vie ? Il veut revenir sur la scène médiatique en publiant un livre – mais rien ne se passe comme prévu…

 

La plupart des protagonistes, malgré leurs positions sociales élevées, semblent vivre dans une forme d’insécurité permanente…

Oui, parce qu’ils savent que leur statut est conquis de haute lutte. Que tout est précaire. Que tout peut s’arrêter. Chaque place est attribuée en fonction de la valeur sociale de chacun. La compétitivité, l’injonction à la réussite, la représentation permanente via les réseaux sociaux entraînent une forme de violence qui renforce les inégalités. Le livre montre clairement ces rapports de force en présence dans différents milieux : la politique mais aussi le cinéma puisque Hilda, l’épouse de Lehman, joue le premier rôle dans un film très attendu qui n’est autre que l’adaptation du roman de la première femme du président. Et puis, pour lutter contre ce sentiment d’insécurité, il y a les addictions…

 

À quelle guerre faites-vous allusion dans le titre ?

La guerre, c’est à la fois la conquête du pouvoir, la vie politique, la guerre sociale mais aussi une façon de décrire les tensions et les défis relationnels et sociaux entre les êtres, en particulier dans le couple.

 

Malgré les crises – crises de couple, déceptions amoureuses, professionnelles… –, ce sont les personnages féminins qui se révèlent les plus solides. Parti pris romanesque ou réalité sociale ?

Je ne crois pas que les femmes soient plus solides mais elles ont appris à s’adapter, à vivre dans des systèmes qui les ont longtemps exclues, à lutter pour trouver leur place et s’imposer. Avec ce livre, j’avais envie de réfléchir à la condition féminine aujourd’hui à travers les portraits de plusieurs femmes de générations et d’univers différents. La femme du président, Hilda, une actrice de quarante-trois ans qui commence à subir une forme de disqualification dans son métier ; la première épouse de Lehman, Marianne Bassani, une écrivaine de cinquante-huit ans qui évoque l’invisibilisation des femmes dans la société à partir d’un certain âge ; et la fille de cette dernière, Léonie, vingt-quatre ans, engagée dans les combats féministes et qui souhaite briser certains carcans. Enfin, il est beaucoup question du couple, de la sexualité et de l’amour : là encore, tout est affaire de pouvoir.

 

Mars 25 • Roman • 9782073072764

Dernière parution : Kaddish pour un amour • Collection Blanche

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