Entretien

David Foenkinos nous parle de Tout le monde aime Clara

« Elle évoqua ainsi ce qu’elle avait éprouvé pendant les longs mois de son coma. À un moment, elle n’aurait su dire au bout de combien de temps, elle avait eu vaguement conscience de la situation. Il lui sembla qu’elle était hospitalisée depuis un moment déjà. Progressivement, elle s’était mise à percevoir les conversations dans la pièce. Par la suite, elle était parvenue à se détacher de son corps, comme pour vagabonder dans une sorte d’errance céleste. Tout cela avait l’allure d’un rêve interminable. »

Lorsque Clara reprend conscience, elle ne sera plus jamais la même. Poursuivez-vous, à travers son personnage, une forme d’enquête sur les états extrêmes comme les expériences de mort imminente et leurs conséquences ?

Oui complètement. À nouveau, la vie d’un personnage est bouleversée par l’expérience de la mort, et revient à la vie armée d’une nouvelle sensibilité. D’un point de vue romanesque, j’aime ces mutations-là, où un personnage se retrouve dans une sorte de seconde vie. Cela est probablement lié à ma propre expérience de mort à l’âge de 16 ans, et le sentiment d’avoir été à ce moment-là propulsé vers un nouveau monde, au cœur duquel j’ai découvert la littérature.

En revanche, c’est la première que j’aborde des thèmes un peu plus ésotériques, comme la voyance. 

Une statue funéraire, L’ange du chagrin, joue un grand rôle dans le retour à la vie de Clara. Qu’est-ce qui vous a vous-même conduit vers cette statue ?

Quelqu’un qui me connaît très bien m’a conseillé d’aller voir cette statue à Rome. Elle se situe dans un lieu assez peu visité, le cimetière non catholique. J’ai été bouleversé par la puissance émotionnelle de cette œuvre, au point de la mettre dans le roman. C’est si romanesque que l’histoire de cette sculpture aurait même pu être le cœur d’un livre. J’espère que les lecteurs seront heureux de découvrir cette histoire, et cette œuvre qui est importante à mes yeux.

Lorsque vous écrivez qu’il existe « un endroit où nous sommes attendus », faut-il comprendre qu’il n’y a pas vraiment de hasard, que nous sommes prédestinés ?

Oui, je pense cela. C’est une phrase de Walter Benjamin qui évoque justement la possibilité d’un chemin qui serait le nôtre. Je crois tout de même en la part d’improbabilité, et je ne crois pas que tout soit écrit. Mais il existe des moments de vie où nous sommes comme guidés, où nous pouvons avoir l’impression d’être en lien familier avec ce qui nous entoure. Ce roman porte aussi les vibrations de ses étranges intuitions, et évoque aussi pour la première fois les vies antérieures. J’avais été très marqué par la phrase de Patrick Modiano dans Livret de famille : « J’avais 20 ans mais ma mémoire précédait ma naissance. »

Au-delà du drame, peut-on voir cette seconde existence de Clara comme une chance, autant pour elle que, par ricochet, pour son entourage ?

Tout à fait. Même si cette transition est douloureuse, brutale, déstabilisante. Il faut parfois du temps pour comprendre pourquoi le destin nous emmène à tel ou tel endroit. J’aime l’idée aussi d’un personnage découvre en même temps que le lecteur sa propre identité ; c’est une façon d’être dans un roman d’éducation ou initiatique.

Peut-on comprendre les scènes de l’atelier d’écriture d’Éric Ruprez comme une évocation de votre propre relation à l’écriture ?

Tout d’abord, si Clara est le personnage du titre, dans mon esprit c’est un roman qui s’articule clairement autour de deux histoires. L’autre personnage central est donc cet écrivain qui n’a pas publié de roman depuis quarante ans. Je suis fasciné par les forces de l’ombre. Cela me permet effectivement d’interroger le rapport aux mots, et y mettre forcément des réflexions personnelles, comme cela a déjà été le cas dans Le Mystère Henri Pick par exemple. Ce qui m’intéresse c’est le rapport incertain à la création. La rencontre de cet écrivain avec Clara va, en tout cas, modifier complètement son destin.

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