Benjamin Lacombe nous parle de la collection Papillon Noir
« La réalité du livre et sa plasticité accompagnent la prise en main du lecteur par un jeu de textures, de toiles, de fer à chaud, de vernis qui, dès la couverture, le mettent immédiatement en condition pour une lecture où ses sens vont être éveillés. »
Pouvez-vous présenter la collection, son concept ?
Benjamin Lacombe : La collection Papillon Noir transforme de grands textes littéraires en romans graphiques et utilise des matériaux variés pour enrichir l’expérience de lecture. Elle est aussi un terrain d’exploration pour de nouveaux modes de création où le texte va de pair avec l’image.
Chaque livre est conçu comme un objet narratif engageant les sens du lecteur avec des textures, des vernis et des matières. Les premiers titres à paraître, Les sorcières de Venise, Le portrait de Dorian Gray et Carmen, en sont de parfaits exemples puisqu’ils utilisent des techniques narratives et matérielles propres à surprendre et captiver le lecteur.
Un soin particulier semble avoir été donné à la fabrication des livres…
B. L. : Tout à fait, le livre est considéré avant tout comme un objet : en fait, un objet narratif qui permet de raconter une histoire.
La réalité du livre et sa plasticité accompagnent la prise en main du lecteur par un jeu de textures, de toiles, de fer à chaud, de vernis qui, dès la couverture, le mettent immédiatement en condition pour une lecture où ses sens vont être éveillés.
L’intérieur de chaque livre sera une surprise. Par exemple, dans Les sorcières de Venise, de Sébastien Perez, illustré par Marco Mazzoni, à un moment clef de l’histoire pour marquer la rupture narrative, le papier change. Il passe à un papier matiéré à grains, tel le fac-similé d’un ancien carnet de sorcière. Pour Le portrait de Dorian Gray, dès la couverture, la dualité trouble du personnage est reflétée dans ce qu’on appelle un fer à chaud lenticulaire noir sur noir qui révèle un nombre infini de couleurs en fonction de la lumière projetée dessus. Et à l’intérieur du livre, le portrait se délite devant nous à travers une série de calques qui vont dévoiler sa monstruosité.
Combien de titres sortiront par an ?
B. L. : La collection comptera entre trois et cinq titres par an. Cette année, ce sont trois titres qui paraîtront. L’an prochain, il y en aura quatre. Un soin particulier est apporté à l’accompagnement des livres à toutes les étapes, ce qui nous oblige à un nombre de parutions limité.
Pourquoi « Papillon noir » ?
B. L. : Ça réunit deux idées. La première est cette ombre sans laquelle aucune lumière ne peut exister. Il n’y a pas de clarté sans ombre, sans une certaine forme de noirceur.
Et puis, bien sûr, le papillon est le symbole de la transformation. Le papillon noir du logo de la collection est un croisement entre une phalène noire et un silène noir. En biologie, ces papillons des bouleaux sont un symbole de résilience et d’adaptation. En effet, ces animaux, à l’ère industrielle, ont muté en passant de blanc à noir pour se fondre à leur habitat et ne plus être chassés.
Une exposition en préparation ?
B. L. : Oui, une exposition dans laquelle on pourra retrouver les originaux des premiers titres qui paraîtront cette année, à savoir des originaux de Marco Mazzoni pour Les sorcières de Venise et certains de mes originaux pour Le portrait de Dorian Gray et Carmen.
On trouvera aussi des recherches et des esquisses. Nous allons également présenter quelques originaux d’œuvres à venir, qui seront bientôt publiées dans notre collection.
La scénographie sera immersive et des tirages d’artistes et des objets dérivés spécialement créés pour l’occasion seront également proposés.
Pouvez-vous présenter les trois premiers titres en quelques mots ?
B. L. : Tout d’abord Les sorcières de Venise. C’est un livre de création, un roman d’anticipation mais également une exploration graphique et philosophique d’une société post-apocalyptique. 2045, dans une Italie en reconstruction, en proie à la ségrégation après une terrible pandémie. Nous suivons la vie de Simone seize ans, qui accompagne son ami Manuele dans une quête pour sauver sa sœur et l’enfant qu’elle porte. Et c’est un moyen pour le grand auteur Sébastien Perez de porter une réflexion sur les effets néfastes du patriarcat, qui traverse malheureusement le temps et les âges. Car le récit nous entraînera jusqu’au Moyen Âge, dans une petite île vénitienne devenue le refuge d’une femme sorcière. Nous découvrirons d’ailleurs son journal au milieu du livre. Et tout cela est narré graphiquement par l’immense artiste plasticien Marco Mazzoni, qui alterne entre des dessins esquissés aux crayons de couleurs, des planches de graphic novel très poussées en noir et blanc et même de l’encre de Chine sur papier avec ce journal d’une sorcière. C’est un travail absolument spectaculaire, magnifique.
Pour ma part, je présente deux livres. D’abord, la réédition de Carmen, une réinterprétation symbolique de l’œuvre de Mérimée, qui a donné naissance plus tard à l’opéra de Bizet que tout le monde connaît. C’est une version qui joue beaucoup de la métaphore et de la mutation de Carmen, que l’auteur lui-même avait bien du mal à cerner. C’est une femme insaisissable. Ce rapport à la transformation, on le retrouve dans la fabrication. Le livre se transforme au gré du récit en jouant avec des vernis sélectifs noir sur noir qui laissent apparaître des éléments de la métamorphose du personnage.
Et enfin, je propose Le portrait de Dorian Gray, le plus grand roman anglais, le seul d’Oscar Wilde, qui est présenté dans une version tout à fait inédite. Tout d’abord, le texte est enrichi de parties auparavant censurées réintégrées dans le texte par Xavier Giudicelli, spécialiste d’Oscar Wilde. C’est un livre qui résonne avec l’actualité de manière incroyable dans notre société où chacun donne à voir via les réseaux sociaux une image de lui-même qui est en fait très éloignée de la réalité. Et Dorian, c’est le filtre Instagram par excellence, puisqu’en fait on a un personnage qui se présente aux gens avec une certaine expérience, le masque d’une beauté absolue et qui cache un être tout à fait détestable. Le livre nous amène à éplucher cet oignon avec un jeu de calques qui nous fait découvrir la monstruosité de ce personnage et de ce tableau.
Et puis il y a une double narration, car le livre est entrecoupé d’illustrations au fusain et au crayon qui racontent la genèse de l’œuvre. En effet, l’histoire du livre lui-même est tout à fait fascinante. Ce roman graphique est composé d’extraits de De profundis, qui est la longue lettre d’Oscar Wilde écrite à son amant depuis sa prison. Œuvre fascinante, Le portrait de Dorian Gray est aussi quasi prémonitoire pour Oscar Wilde : ce livre lui apportera la gloire et le mènera aussi à sa perte.
À la fin du livre, un texte de Merlin Holland, le petit-fils d’Oscar Wilde lui-même, nous parle de l’œuvre de son grand-père et de l’impact qu’elle a eu sur sa vie. Une façon de redécouvrir ce grand classique de la littérature dans une version tout à fait inédite.
L’exposition « PAPILLON NOIR – BENJAMIN LACOMBE » sera présentée à la Galerie Gallimard (Paris 7) à partir du 27 novembre 2024.