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Les flammes de Pierre de Jean-Christophe Rufin. Entretien

« Une ascension accomplie dépose dans l’esprit de curieux souvenirs. On a beau répéter que le sommet lui-même n’a aucune importance, les instants que l’on y passe s’impriment dans la mémoire. […] Tout ce qui a été vécu sur ce sommet pénètre profondément dans l’esprit et pourra se libérer un jour, comme un génie sorti de sa bouteille, au moment où le regard, d’en bas ou d’ailleurs, se posera à nouveau dessus. Ceux qui ont partagé cette expérience sont habités par ces souvenirs rares et qui les lient à jamais. Rémy et Laure partageaient le modeste sommet de Croisse-Baulet et, si bref fût-il, ce moment devenait pour eux inoubliable. »

Quelles sont ces « Flammes de Pierre » qui donnent son titre au roman ?

L’arête des Flammes de Pierre est une crête rocheuse située sous les Drus, au flanc de l’Aiguille Verte dans le massif du Mont-Blanc. Elle joue un rôle dans le roman mais elle constitue aussi un lien avec un grand classique de la littérature alpine, Premier de cordée, de Roger Frison-Roche. Et, bien sûr, par le mariage de ces deux termes qui évoquent à la fois le feu et le rocher, ce titre évoque métaphoriquement les deux forces à l’œuvre dans ce livre : la passion amoureuse et celle de la montagne.

Justement, peut-on considérer ce roman comme l’histoire d’un trio amoureux, le troisième personnage étant la montagne ?

Laure et Rémy, les deux héros du livre, vont vivre une histoire tumultueuse, faite d’unions et de ruptures. Chacun de ces épisodes est relié à la montagne. C’est par elle qu’ils se rencontrent, à cause d’elle qu’ils découvrent leurs différences, grâce à elle qu’ils pourront l’un et l’autre se reconstruire. Et en elle qu’ils pourront (peut-être) se retrouver…

Aucun des protagonistes du roman n’est natif de la montagne, pourtant elle leur est indispensable. Vous-même, montagnard d’adoption, comment expliquez-vous cet appel de la montagne, assez impérieux pour orienter une vie ?

Cet attrait reste toujours mystérieux. Au cours d’une vie, le lien qui nous unit à la montagne change de nature et on découvre à chaque âge de nouveaux motifs de sacrifier à cette passion. Du consumérisme un peu grégaire des sports d’hiver jusqu’à l’angoissante solitude de l’alpinisme, en passant par la randonnée en liberté ou par la grimpe hédoniste dans des falaises ensoleillées, les pratiques sont variées, les motivations aussi. Le roman, en suivant les protagonistes, va permettre de les visiter toutes.

Vous écrivez en substance que la montagne, ça réduit en poudre les petits drames de la vie. Serait-ce un discret conseil aux lecteurs englués dans les soucis du quotidien ?

La montagne connaît le drame ; pas le mélodrame. C’est une école de sincérité. Les bobos, les déprimes n’y résistent pas, non plus que les fanfaronnades. On ne peut pas tricher longtemps. On est vite ramené à sa vérité quand on se confronte à la montagne.

Entre ceux qui cherchent la difficulté extrême et ceux qui préfèrent le plaisir et la liberté, vous semblez préférer les seconds. Considérez-vous l’exploit pour l’exploit comme sans intérêt ?

Les exploits sont nécessaires et admirables. Mais tout réduire à la haute difficulté, c’est croire que la montagne serait réservée à une élite à laquelle le commun des mortels ne peut pas s’identifier. Les héros de ce livre sont plus humains et donc plus familiers. Leurs passions sont les nôtres et nous pouvons partager leurs émotions.

Vous évoquez la paroi rocheuse comme « un jardin zen ». Une façon de dire que la montagne, nous impose une forme de méditation, nous révèle à nous-mêmes ?

La grande alpiniste Stéphanie Bodet compare l’escalade à un « yoga vertical ». On pourrait en dire autant de la marche. Ce sont des ascèses du mouvement. Ce que les personnages découvrent dans ces décors de glace et de pierre, c’est leur corps et, par son intermédiaire, leur esprit. Suivre pas à pas Laure et Rémy dans leur histoire, c’est cheminer avec eux, pour nous découvrir nous-mêmes.

Médecin, voyageur et diplomate, Jean-Christophe Rufin est né en 1952. Il est membre de l’Académie française depuis 2008. Il a notamment publié aux Éditions Gallimard Rouge Brésil (prix Goncourt 2001), Le collier rouge, Check-point, Le tour du monde du roi Zibeline, Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla.

Entretien réalisé avec Jean-Christophe Rufin à l'occasion de la parution des Flammes de pierre.

© Gallimard