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Jean Genet, d'Edmund White. Entretien

Rencontre avec Edmund White, à l'occasion de la parution de Jean Genet en septembre 1993.

Vous avez mené cette biographie comme une enquête...

Edmund White — Oui, j'ai éprouvé un véritable déclic pour le sujet, ce qui ne m'est arrivé que deux fois dans ma vie. J'ai commencé ce livre il y a sept ans, à une époque où je ne vivais à Paris que depuis trois ans, et je connaissais mal la France. J'ai commencé par enquêter sur l'Assistance publique, les prisons, l'armée, la colonie pénitentiaire de Mettray, le Montmartre louche des années trente, et c'était vraiment fascinant. J'ai rencontré des gens très différents : un de ses anciens amants, garagiste, son dernier ami, sa marraine, alors centenaire... Cette enquête m'a mené très loin : Genet avait beaucoup voyagé, et j'ai suivi ses pas dans tous les pays où il avait vécu, à l'exception du Japon : je me suis rendu à Damas, au Maroc, où il est enterré, au Nouveau-Mexique... Et partout j'ai rencontré des témoins de sa vie.

Qu'avez-vous découvert d'important qui n'était pas connu ?

Edmund White — J'ai essayé de retrouver les expériences-clés de son existence. En particulier, l'expérience quasi mystique qu'il a vécue vers quarante ans, à l'époque où il avait achevé tous ses romans, souffrait d'une dépression grave et venait de faire une tentative de suicide. Un jour, dans un train, en compagnie d'un voyageur, il a eu l'impression que l'âme de ce voyageur entrait dans son corps à lui, tandis que son âme passait dans le corps de l'autre. D'un seul coup, il a compris qu'il n'était pas singulier, que tous les êtres humains sont pareils, et cette expérience l'a horrifié. En même temps, je pense qu'elle est à la base de son théâtre. Si le roman peut être l'expression d'un homme singulier, les personnages de théâtre ne peuvent être interprétés ni défendus par la conscience supérieur d'un écrivain. Et son théâtre est vraiment basé sur cette idée d'une âme commune.

Votre point de vue sur Jean Genet s'est-il modifié ?

Edmund White — Aujourd'hui, je trouve le personnage beaucoup plus riche, mais le plus agréable est de constater que j'ai toujours son œuvre en haute estime. Souvent, lorsqu'on travaille de manière aussi proche de son sujet, on finit par trouver l'homme plus sympathique, mais l'œuvre moins intéressante. Ce n'est pas le cas avec Genet. Ses romans sont extraordinaires.

© Éditions Gallimard