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Numéro deux de David Foenkinos. Entretien

« En 1999 débutait le casting pour trouver le jeune garçon qui allait interpréter Harry Potter et qui, par la même occasion, deviendrait mondialement célèbre. Des centaines d’acteurs furent auditionnés. Finalement, il n’en resta plus que deux. Ce roman raconte l’histoire de celui qui n’a pas été choisi. »

Numéro deux raconte la douloureuse, mais drolatique, histoire de Martin, l’enfant (né de votre imagination) qui a failli incarner Harry Potter. Mais est-ce vraiment si terrible d’être numéro deux ?

C’est vraiment une question au cœur du livre. C’est un roman sur l’échec, sur la condition d’être numéro deux, jusqu’au moment où l’on peut arriver à considérer l’intérêt de cette position de numéro deux. C’est toujours un cheminement de savoir reconsidérer ses échecs. Mais dans un premier temps c’est une situation effrayante, et surtout dans un tel cas. Imaginez un seul instant que vous ne pouvez pas vivre une journée sans être confronté à votre échec, que vous avez en permanence l’éclat de la réussite de l’Autre sous les yeux. J’associe le destin de Martin à celui de Pete Best, le batteur des Beatles qui a été écarté quelques semaines seulement avant que la gloire ne s’empare du groupe.

Vous évoquez l’engouement planétaire pour Harry Potter…

Dans la première partie, mon livre revient effectivement sur le destin en forme de conte de fées de J.K. Rowling, et sur toute la genèse d’Harry Potter. Il y a des anecdotes incroyables comme celle du directeur général des Éditions Bloomsbury qui fait lire le manuscrit à sa fille de 8 ans. On peut presque considérer que c’est ainsi l’enthousiasme d’Alice Newton qui a été à l’origine de la publication. Je reviens également sur la création du film, et notamment le casting. En me documentant, j’ai appris beaucoup de choses sur le phénomène. J’évoque par exemple un château en Pologne qui vous fait revivre l’exacte expérience de Poudlard. Aucune œuvre n’a ainsi envahi le monde.

Plus on avance dans la lecture du roman, plus on réalise que le monde est plein de « numéros deux »…

Il me semble que toute vie humaine est, à un moment ou à un autre, empêchée d’accomplir quelque chose par une autre vie humaine. Il y a toujours quelqu’un devant nous. On peut y voir un moteur, tout comme on peut éprouver de l’aigreur. Une partie de mon roman se focalise sur cette histoire d’être numéro deux. Que ce soit un finaliste du Goncourt, ou une œuvre d’art éclipsée par sa proximité avec La Joconde. Cette question de la comparaison permanente est plus prégnante que jamais. On vit sous la dictature du prétendu bonheur des autres, avec les réseaux sociaux. Si l’on vit dans ce désir de comparaison, on passe ainsi son temps à se sentir déclassé.

Vous égratignez la fausse harmonie de certaines familles recomposées, où la réalité évoque parfois un mauvais remake de Cosette et les Thénardier – ou plutôt Harry Potter et les Dursley…

Ce qui m’intéressait dans cette partie du livre où, effectivement, la vie familiale de Martin tourne au cauchemar, c’était l’idée que la fiction s’invite tout de même dans son existence. Certes, il n’a pas été Harry Potter au cinéma. Mais n’est-il pas en train de le devenir dans la vraie vie ? L’obsession de son échec lui fait, d’une certaine manière, penser qu’il aurait dû être ce personnage puisque le réel lui en offre une preuve supplémentaire. C’est aussi le symbole de notre contemporain où, plus que jamais, on a du mal à départager le réel de la fiction.

Diriez-vous que Numéro deux est un roman avec une morale, qui pourrait être « évitez de vous gâcher la vie en idéalisant celle des autres » ?

Je n’irai pas jusqu’à parler de morale, car il n’y a pas de méthode pour affronter ou digérer un tel échec. Il faut sûrement des années, et beaucoup de recul, pour trouver la bonne distance avec la violence de certains rejets. Et on ne peut pas aller contre le sentiment de jalousie. Quand je raconte le sujet de mon livre, la première réaction est : « Oh, c’est horrible ! » S’il devait y avoir une morale, ce serait celle-ci : toute vie a sa problématique. Que ce soit l’échec, ou le succès. Être « numéro un » comporte également des difficultés. C’est ce que nous découvrons à un moment du livre. Au fond, il y a toujours la tentation de rêver la vie de l’autre, pour échapper à sa condition.

David Foenkinos est l’auteur de dix-huit romans dont La délicatesse, Les souvenirs ou Le mystère Henri Pick, tous trois adaptés au cinéma. Ses livres sont traduits en plus de quarante langues. Son roman Charlotte a obtenu le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens en 2014.

Entretien réalisé avec David Foenkinos à l’occasion de la parution de Numéro deux.

© Gallimard