«Pourquoi une "vélobiographie"? Peut-être parce que j'étais lecteur à l'Université d'Aberdeen avant de courir le Tour de France et que je songe déjà à la traduction anglaise : Louison Bobet, A velobiography (mais comment prononce-t-on "Louison" en anglais?).
C'est aussi parce que j'ai voulu expliquer les courses cyclistes.
Si je devais écrire une histoire du cyclisme, j'y consacrerais trois
parties. La première prendrait fin en 1918 et raconterait la résistance et le courage des pionniers que furent Christophe, Garin, Garrigou et d'autres encore. La seconde période s'étalerait de 1920 à 1942, date du record de l'heure de Fausto Coppi, record considéré comme intouchable. Elle traiterait des progrès mécaniques et physiologiques, par la seule mention de noms tels que Binda, Guerra, Magne, Speicher, Leducq, Maes, Aerts... Enfin la dernière partie raconterait l'étrange révolution du cyclisme d'après-guerre. Étrange parce qu'elle amène le cycliste à couvrir 47 kilomètres en 60 minutes. Étrange aussi parce qu'elle se poursuit aujourd'hui et ne semble pas devoir s'arrêter demain.
Cette tranche de vie cycliste qui commence en 1945 m'a paru suffisamment riche pour que j'en décrive les différents aspects. J'ai la chance d'avoir pour frère un certain Louison Bobet qui, de par son âge, ses aspirations et accessoirement ses performances, représente un condensé très acceptable de cette période. C'est le but de ce livre de vous présenter un digest technique, social et anecdotique du cyclisme moderne.
Sur la couverture, vous avez vu une photo de Louison et de moi. Là-dessus je dois apporter une précision. Sur la photo, cet individu reniflant la douleur et t'ahurissement, ce pelé, ce baveux, c'est moi que l'on considère comme l'intellectuel, tout au moins de la famille. L'autre, cet homme calme et soigné, c'est Louison, LE coureur cycliste. Cette image n'est pas conforme à l'idée qu'on se fait du vélocipédiste. Celui-ci est bien souvent une sorte d'Ademaï-au-pantalon-
bouffant, à la casquette-enfoncée-jusqu'aux-oreilles, un montreur-de-cuisses-huilées-et-pommadées. Mon intention est de vous présenter un aspect intime et tout à fait différent du monde cycliste. En écrivant ces pages, j'ai découvert que c'est un métier que de faire un livre, métier dont les difficultés ne se mesurent ni en mètres, ni en secondes, mais m'apparaissent néanmoins comme autant de Galibier, d''Isoard ou de Tourmalet. Et comme vous le savez peut-être, je n'ai jamais jonglé ni avec le Galibier, ni avec l'Isoard, ni avec le Tourmalet.»
Jean Bobet.