Ce que Jean Rhys nous raconte ici, c'est le banal tissu quotidien d'une vie à la dérive. L'histoire de cette petite Anna, arrachée à ses Antilles natales et perdue dans les brouillards de Londres, danseuse de hasard dans une revue de quatrième ordre et passant d'un hôtel minable à un autre, d'un homme médiocre à un autre, tout cela pourrait relever de la romance sentimentale. Il n'en est rien. Les éléments de la romance – et c'est le génie de Jean Rhys – sont parcourus par un tel souffle d'humour, un tel courant de désespoir, que nous voici concernés, quoi qu'il arrive.
Anna, petit animal grelottant des îles, que le premier venu roule, qui pleure à tout propos et hors de propos, qui n'a plus un sou, qui boit à tort et à travers, qui griffe quand elle le peut, est en train de faire l'apprentissage de la vie. Et elle découvre, très vite, qu'il n'y a rien qui soit «aussi froid» que la vie, aussi solitaire, aussi désert. Un seul recours : se pelotonner, quand tout va trop mal, au creux de la si proche enfance, et là retrouver la chaleur perdue, les couleurs, les odeurs, les voix amicales d'autrefois.