Toxique de Samanta Schweblin. Entretien
Toxique de Samanta Schweblin
Short list du Man Booker International Prize
Quelle a été votre réaction en apprenant que Toxique figurait sur la liste du prestigieux Man Booker International Prize? Que représente cette nomination pour vous ?
C’est un honneur. Les auteurs qui figurent sur cette liste sont des auteurs que je lis et que j’admire, et rien que le fait que de figurer parmi eux est à mes yeux une chance pour le livre. J’ai aussi conscience que, chaque année, de nombreux textes de qualité ne sont pas sélectionnés pour ces prix, c’est pourquoi j’ai l’impression d’avoir beaucoup de chance. C’est tellement flatteur et inattendu que, bien que la joie m’aide à en faire abstraction, j’en tremble encore de peur.
Que pensez-vous de la réception de Toxique à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Europe ?
À vrai dire, je suis surprise de constater à quel point ce premier roman circule. Je crois qu’à la fin de l’année, il aura été traduit dans vingt-cinq langues. Je n’aurais jamais pu imaginer cela il y a trois ans, lorsque le roman est sorti en espagnol. J’ai aussi été impressionnée de constater l’impact qu’a le marché nord-américain sur les autres langues. Le livre avait déjà reçu un très bel accueil avant la publication aux États-Unis et au Royaume Uni, mais ce n’est qu’après cette publication en anglais qu’il a pu circuler aussi massivement.
De nombreux lecteurs décrivent Toxique comme un récit de terreur. Cette définition vous convient-elle ? De quel type de terreur s’agit-il ?
Ce qui est sûr, c’est que ce qui est terrifiant, c’est la réalité dans laquelle nous vivons. Il est vrai que le rythme et la tension de Toxique font penser à la terreur comme genre, mais tout ce que raconte le livre correspond à la réalité de l’Argentine. Les conséquences de l’épandage de produits chimiques – très souvent fatal – font partie de l’horreur de la situation actuelle des campagnes argentines. Les guérisseuses aussi jouent un rôle important, car bien souvent les médecins de ces zones rurales travaillent pour les sociétés commercialisant ces produits chimiques et dissimulent les risques véritables, modifiant les statistiques et les témoignages. Et des histoires rapportent que ce sont ces guérisseuses, à l’écart de la médecine traditionnelle, qui en dernière instance sauvent des vies. Ce que je voulais faire au départ, c’était écrire un livre travaillé par une très grande tension, mais qu’on en fasse une lecture qui confine à l’horreur ne me dérange pas. Cependant, il faut tout de même préciser qu’il ne s’agit pas d’horreur faisant intervenir des monstres venus de l’au-delà ou de cieux à la Lovecraft, mais bien des horreurs que produit le monde réel qui, en raison de sa proximité, peuvent être encore plus effrayantes.
Pourquoi l’idée d’une conspiration, d’un mouvement secret qui se développe à notre insu, joue-t-elle de nos jours un tel rôle ?
En effet, on a l’impression de vivre dans une ère de la méfiance. Peut-être que de nombreux systèmes et modèles en lesquels nous avons cru jusqu’à maintenant – la démocratie, la famille, la médecine traditionnelle – commencent à montrer leurs failles, ou cessent seulement d’être «la seule manière de faire». L’idéal serait que ces conspirations ne servent pas tant à nourrir des chimères, mais plutôt pour éveiller les consciences à une nouvelle conception des dangers de demain et des jugements que nous portons sur notre passé.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur le temps de l’écriture de Toxique ? C’est un livre qui se lit d’une traite, mais comment l’avez-vous écrit ?
C’est un livre que j’ai longuement mûri. Les premières notes que j’ai prises sont restées à Buenos Aires, ce qui signifie qu’elles datent d’avant mon installation à Berlin ; je dirais que j’y ai pensé pendant deux ans avant de me mettre à l’écrire. Mais une fois commencé, je l’ai écrit d’une traite, en quatre ou cinq mois. Je voulais que le roman ait la force d’un témoignage, mais d’un témoignage se déroulant sous les yeux du lecteur, un témoignage sur quelque chose qui pourrait encore être évité. Et c’est la voix de David qui m’a fourni les dernières pistes et a fait de cette histoire un récit encore plus urgent et ténébreux que ce que j’avais prévu.
Entretien réalisé à l'occasion de la parution de Toxique.
© Gallimard