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Une question d’orgueil de Pierre Assouline. Entretien

Rencontre avec Pierre Assouline à l'occasion de la parution de Une question d’orgueil en octobre 2012.

À la différence de la plupart de vos livres, le personnage central d’Une question d’orgueil est totalement absent du titre…

Pierre Assouline — Effectivement. Je poursuis une recherche littéraire dans laquelle j’essaie de faire se rencontrer les deux parties de moi qui sont le biographe et le romancier. J’avais initié cela avec Lutetia ou Le Portrait, en plaçant au centre du livre un hôtel ou un tableau et une famille. Ici, le personnage central est un homme, Georges Pâques. J’aurais pu faire sa biographie, mais le roman me permettait d’aller beaucoup plus loin dans la complexité du personnage, qui par ailleurs est quelqu’un de très gris, aujourd’hui inconnu du public. D’autre part, le vrai sujet du livre est l’orgueil, ce trait de caractère universel. L’histoire de Georges Pâques, c’est avant tout une histoire d’orgueil.

Qui était Georges Pâques ?

Pierre Assouline — En quelques mots, un haut fonctionnaire, normalien, agrégé, donc appartenant à une certaine élite, qui a gravi tous les échelons de l’administration en tant que directeur de cabinet de nombreux ministres pour entrer à l’état-major de la Défense nationale et enfin à l’Otan, donc un parcours impeccable. Pourtant, durant vingt ans, cet homme ordinaire a communiqué des documents secrets aux agents du KGB à Paris. Très exactement, cela s’appelle de la trahison. Un traître obéit la plupart du temps à deux mobiles : soit l’argent, soit l’idéologie. Or Pâques n’était pas communiste, il était même de droite, et il a touché très peu d’argent pendant vingt ans – plutôt des défraiements.

Quel rapport entre l’orgueil et la trahison ?

Pierre Assouline — L’orgueil était son seul mobile, et c’est ce qui m’intéresse : comment l’orgueil peut pousser un homme à risquer sa tête. Cet orgueil, c’est d’abord un sentiment de supériorité, en particulier par rapport à la médiocrité du personnel politique, y compris ses propres chefs. Lui se sent bien supérieur à eux, il s’estime sous-utilisé dans sa haute compétence, il fait partie de ces gens qui se grisent de jouer un rôle dans les coulisses de l’Histoire. Il a le sentiment de tirer les ficelles, et c’est quelque chose de plus répandu qu’on ne le croit.

L’avez-vous rencontré ?

Pierre Assouline — L’affaire Pâques, je m’y intéresse depuis plus de vingt-cinq ans. Tout à fait par hasard, j’avais trouvé un article de quatre lignes à propos de « Georges Pâques, le Kim Philby français, l’espion le plus important que le KGB ait eu en France », et j’étais tombé des nues ! La rédaction d’une revue d’histoire m’a proposé de faire un grand article sur le sujet, j’ai commencé mon enquête et j’ai fini par retrouver Georges Pâques, que je cherchais depuis des mois et des mois : en fait il habitait pratiquement dans ma rue. Je l’ai appelé, et coup de chance il m’a dit : « Je n’ai jamais donné d’interview, mais j’ai lu vos livres, je vous fais confiance », et il m’a reçu tout un après-midi. J’ai rédigé mon article, tout en estimant qu’il n’y avait pas matière à une biographie. Et puis, il y a deux ans, cette histoire est revenue me saisir.

Vous avez choisi une forme narrative particulière…

Pierre Assouline — Deux temps alternent en permanence : le temps du présent, où le narrateur raconte son enquête, et le temps du passé, où le narrateur raconte l’histoire ancienne de Georges Pâques. À travers une succession de chapitres interrompus par des fragments, le lecteur assiste à ce work in progress qu’est l’enquête d’un écrivain sur un homme. J’étudie comment Georges Pâques s’est construit, puis comment il s’est effondré, car je raconte son procès comme si j’y avais assisté. Une question d’orgueil est l’histoire d’un roman qui se fait sur un homme qui se défait.

© Éditions Gallimard