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Des chauves-souris, des singes et des hommes de Paule Constant. Entretien

L’Afrique évoquée dans Des chauves-souris, des singes et des hommes est une Afrique contemporaine où les forces naturelles se révèlent bien plus violentes et dangereuses que les hommes. Peut-on situer cette Afrique dans la lignée d’Ouregano, White Spirit ou C’est fort la France ! ?
Tous mes romans sont écrits en miroir les uns des autres. Mais ceux que vous citez ont entre eux un lien très particulier. Leur action se situe dans la même zone géographique et ils ont en commun de s’intéresser à des catastrophes sanitaires. Les causes de l’épidémie de gangrène gazeuse d’Ouregano trouvent leur explication dans C’est fort la France !. C’est moins la piqûre incriminée qui est responsable de la catastrophe que le bouleversement de l’écosystème qui a permis le développement de germes en sommeil. White Spirit dénonçait déjà les perturbations causées par les bananeraies gigantesques. Dans Des chauves-souris, des singes et des hommes, revenant sur l’histoire des gangrènes gazeuses, le petit-fils du héros médecin d’Ouregano explique à Agrippine, médecin sans frontières, que ce sont les gigantesques plantations qui perturbent les équilibres naturels et font franchir aux virus la barrière des espèces.

Peut-on voir dans ce roman une enquête policière sur la trace d’un tueur implacable ?
Il s’agit bien d’un thriller médical. Un virus se réveille et fait en toute impunité ses premières victimes. Quand on s’aperçoit de l’étendue du massacre, il est trop tard pour l’arrêter. Comment naît-il, comment se propage-t-il, comment choisit-il ses victimes, quels sont ses complices, derrière quelle apparence se cache-t-il, quels sont ses alibis... ? L’enquête est d’autant plus passionnante qu’elle est complexe même si, comme dans les romans d’Agatha Christie, on a tous les éléments de sa résolution sous les yeux.

Que les villageois attribuent les événements fâcheux qui se succèdent à la fatalité et qu’ils aient recours à la magie, on peut le concevoir mais qu’Agrippine qui est médecin et Virgile anthropologue…, voire les religieuses qui tiennent un dispensaire et jusqu’aux éthologues internationaux, personne ne voit, personne ne se doute du danger qu’ils côtoient et qu’ils disséminent ?
On ne voit que ce que l’on connaît ou reconnaît, on ne peut imaginer l’impensable. C’est pourquoi les grands savants doivent plus leurs découvertes à l’imagination qu’à la science. Les épidémies font remonter en chacun de nous des terreurs archaïques. La lèpre, la peste, le choléra et plus près de nous le sida, devant nous de terrifiantes maladies émergentes qui sont en train de s’organiser pour venir à bout de nos défenses nous ont mis face à une vulnérabilité physique et psychologique que nous portons en nous depuis l’origine des temps. Nous nous défendons comme nous pouvons de la terreur en dressant d’irrationnelles barrières, scientifiques ou religieuses. L’épidémie est aussi implacable qu’un tsunami, un volcan en éruption ou un tremblement de terre, elle emporte tout sur son passage et n’épargne personne.

Même si l’intrigue repose sur des bases scientifiques rigoureuses, le roman doit-il se lire comme une fable ?
Pour raconter les peurs primitives et les comportements réflexes face à une épidémie d’aujourd’hui et de demain, rien de plus adéquat que la fable qui raconte nos peurs d’hier. Le bec d’oiseau géant des médecins qui approchaient les pestiférés annonce la tenue de cosmonaute des médecins qui examinent un malade soupçonné de fièvre hémorragique. Les isolements en chambre stérile à pression négative d’aujourd’hui rappellent les lazarets d’autrefois. Et toujours la recherche du bouc émissaire, la désignation de la sorcière, le sacrifice de la coupable. Ici, elle s’appelle Olympe, 7 ans. Sa faute : avoir joué avec une chauve–souris.

La rivière semble être l’héroïne principale, la seule voie de communication qui relie tous les habitants de ses rives au dispensaire des Sœurs, mais surtout à la mégalopole africaine par un système incessant de va-et-vient et d’échanges. Les villages ne sont plus isolés, ils reçoivent la visite de soignants comme de brocanteurs...
Cette rivière, source de vie, qui apporte l’eau et une prospérité toute relative, va devenir source de mort. Le grand et paisible serpent qui ondule à travers la brousse se réveille, il dresse sa tête horrible, ouvre la gueule et comme un monstre mythologique dévore tout sur son passage. Cette rivière de vie n’est rien moins que le Styx que traversent les pirogues des morts et avec elles répand l’infection de plus en plus loin, vers la ville, sur le monde. À l’instar des plus grandes calamités, son nom est synonyme de mort.

Quel est ce nom ?
Ebola.

 

Entretien réalisé avec Paule Constant à l’occasion de la parution de Des chauves-souris, des singes et des hommes.

© Gallimard