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L’Horizon de Patrick Modiano. Entretien

Rencontre avec Patrick Modiano à l'occasion de la parution de L'Horizon en mars 2010.

Vous écrivez, à propos de la terrible mère de Bosmans devenue une vieille femme pitoyable, « Mon Dieu, comme ce qui nous a fait souffrir autrefois paraît dérisoire avec le temps ». Est-ce une manière d’exprimer que le temps qui passe est libérateur ?

Patrick Modiano — Oui, le temps qui passe est libérateur, surtout quand il s’agit de personnes qui provoquaient chez vous une angoisse ou un tourment, du temps de votre enfance ou de votre adolescence – ce sont des âges où l’on est prisonnier de tout. Avec le temps, ces personnes n’ont plus de pouvoir sur vous et vous paraissent «dérisoires», et parfois pitoyables.

Berlin tient ici une place importante, à deux périodes essentielles du destin de la ville : sa destruction et sa réunification. Diriez-vous que, débarrassé du passé, on «respire» mieux dans une ville reconstruite ?

Patrick Modiano — Dans L’Horizon, le narrateur remarque au sujet de Berlin : «Cette ville a mon âge» parce qu’il est né en 1945, comme moi. J’ai donc toujours eu l’impression que ma naissance était liée à la guerre et que j’étais né parmi les ruines. De sorte que Berlin est la ville la plus symbolique de notre génération : reconstruite peu à peu depuis soixante-cinq ans – et réunifiée – mais portant encore les traces du passé «originel».

Le narrateur retrouve grâce à Internet deux personnages importants perdus de vue depuis des décennies. Considérez-vous Internet comme un outil pour faire ressurgir le passé ?

Patrick Modiano — L’Internet est sans doute un outil précieux, pour retrouver des liens évanouis ou comme machine à faire ressurgir les fantômes. Mais souvent, il n’est d’aucune utilité car les «fantômes» ne se laissent pas aussi facilement débusquer.

La machine à écrire de Simone Courtois, la dactylo professionnelle, semble normale mais imprime des «signes curieux» qui altèrent subtilement le texte sans le rendre illisible. Ce léger décalage est-il une clé de votre imaginaire ?

Patrick Modiano — Pas seulement la clé de mon imaginaire et de mon approche de l’écriture. Ce léger décalage ou «déphasage» est celui de tous les romanciers.

© Éditions Gallimard 2010