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Transparence de Marc Dugain. Entretien

« Ma société Endless travaille depuis 25 ans dans le secret sur le transhumanisme. Considérant que l’homme n’est fait que de matière destinée à se décomposer progressivement, cette pourriture gâchant au final tout ce qu’il y a de beau dans l’individu, en particulier sa pensée, sa sensibilité, son émotivité, son intelligence supérieure, nous avons considéré que toutes ces qualités aussi imparfaites fussent-elles méritaient d’être logées dans une enveloppe plus noble. Nous sommes passés de la chair au minéral et nous avons pris le parti que cette enveloppe durable soit l’exacte reproduction de la personne qui a vécu. »

Vous imaginez un monde où la conservation des données numériques personnelles permet d’atteindre l’immortalité…
Je pousse à l’extrême mon hypothèse sur la façon dont pourraient évoluer le monde et l’espèce humaine à partir de la révolution numérique. Avec en toile de fond le transhumanisme, cette quête devenue essentielle aux yeux de géants du numérique comme Google, puisqu’il s’agit rien moins que de vaincre la mort. Le roman s’interroge sur les liens entre révolution numérique, intelligence artificielle et transhumanisme. C’est une vraie question philosophique pour le monde de demain.

Pourquoi avoir choisi la forme du roman d’anticipation alors qu’il s’agit d’une question actuelle ?
L’anticipation permet de mieux réfléchir sur le présent. On assiste à une aggravation considérable du décalage entre la technologie et le niveau de conscience de l’espèce humaine. Non seulement cette technologie numérique faite par une minorité est en train de nous envahir, mais cela se produit avec l’assentiment d’une majorité qui n’y voit que des avantages. Or il s’agit en réalité d’une révolution qui installe une dictature douce, extrêmement consensuelle, qui va bouleverser nos rapports économiques, nos rapports sociaux, notre relation à l’espace et au monde.

L’héroïne et narratrice, Cassandre, affirme détenir la technologie de l’immortalité…
Je ne crois pas à la possibilité de rendre immortel le corps humain tel qu’il est. Certains transhumanistes imaginent l’être immortel comme un genre de robot doté d’une intelligence artificielle, mais cet humanoïde signerait la fin de l’Humanité. D’autres, comme Cassandre, envisagent la migration de l’esprit dans une configuration informatique réimplantable dans un corps refabriqué. Cette hypothèse me paraît plus plausible et m’intéresse plus aux plans philosophique, intellectuel et romanesque.

Maîtriser l’immortalité implique un pouvoir illimité…
La question de l’immortalité est centrale dans l’histoire de l’Humanité. La mort est la seule véritable égalité entre tous les humains. À partir du moment où mon héroïne détient les clés de l’immortalité, elle fait ce que toutes les religions ont fait avant elle, qui consiste à réserver la vie éternelle à ceux qui auront « bien agi » et à condamner les autres au néant ou à l’enfer. Elle affirme œuvrer pour le bien de l’Humanité, alors qu’elle s’arroge un pouvoir redoutable jusque-là réservé aux dieux.

Faut-il voir dans la fin du roman le retour au bon sens ou l’expression d’un banal conflit d’intérêts ?
Ce roman est en fait une fable, dans la mesure où l’histoire est à la fois vraisemblable et invraisemblable. S’agit-il vraiment de la découverte de la technologie de l’immortalité, d’un bluff pour manipuler l’opinion, d’une gigantesque arnaque pour lancer une OPA sur les géants du numérique ? À chacun de se faire son opinion !
Un indice tout de même : quand j’écris que Cassandre a décidé de quitter Google le jour où la société a commencé à travailler sur des drones « hyper intelligents » capables de décider d’eux-mêmes de tuer une personne repérée, je dis la vérité.

Entretien réalisé avec Marc Dugain à l'occasion de la parution de Transparence.

© Gallimard