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Numéro 11 de Jonathan Coe. Entretien

« À travers ce roman construit autour du chiffre 11, Jonathan Coe tisse une satire sociale et politique aussi acerbe que drôle sur la folie de notre temps. Il croque ses contemporains britanniques, gouvernés par une poignée de Winshaw — descendants des héros malveillants de Testament à l’anglaise —, capture dans sa toile les très riches et leurs servants, leurs frustrations, leurs aspirations et leur démesure, avec une virtuosité toujours aussi diabolique. »

Numéro 11, un titre qui intrigue d’autant plus qu’a priori ce nombre n’évoque rien pour le lecteur… Que diriez-vous à ce sujet ?
Évidemment, ce chiffre a un sens très particulier pour un lecteur britannique : il reconnaîtra d’emblée la référence au 11, Downing Street, là où réside le Chancelier de l’Échiquier et où se décide la politique économique. Pour le lecteur français, le titre est plus mystérieux mais ce n’est pas grave puisqu’il s’agit en un sens d’un roman à énigme. Les lecteurs se rendront compte que le chiffre 11 a un sens différent dans chaque partie du livre : je ne dévoilerai pas lequel mais disons que dans la dernière partie, il devient le symbole d’une avidité sans fond.

Vous jouez avec les codes du roman gothique et du cinéma fantastique — fantômes, morts-vivants et autres — pour mieux les désamorcer par des explications rationnelles. Mais au final, les monstres sont bien présents… Les considérez-vous comme utiles, voire indispensables, dans notre monde moderne ?
L’Angleterre est fortement liée à la satire, c’est une forme de tradition : nous répondons à l’injustice et à la corruption en nous en moquant, espérant, j’imagine, que le rire fera disparaître le problème. Je me suis cependant rendu compte récemment que cela ne semble plus fonctionner. Rire des politiques est devenu un moyen d’accepter leur comportement, de les laisser s’en sortir malgré leurs méfaits. Il n’y a donc pas dans Numéro 11 autant d’humour que dans mes précédents livres politiques. J’ai décidé qu’il valait mieux que le lecteur se sente mal à l’aise, effrayé, voire parfois même répugné. D’où tous les monstres du roman. Bien sûr, les araignées sont les pires de tous et il y a une raison simple à cela : je suis arachnophobe.

À propos de monstres, les pires ne seraient-ils pas les descendants et les héritiers, bien réels, des épouvantables Winshaw de Testament à l’anglaise ?
C’est exact mais deux problèmes se sont posés alors que je réfléchissais à une sorte de suite de Testament à l’anglaise : d’abord j’avais presque massacré toute la famille et ensuite j’avais oublié de leur donner des descendants. J’étais alors âgé d’une trentaine d’années et n’avais pas encore d’enfants. La pensée même des enfants ne m’intéressait pas et vous remarquerez qu’il y a très peu d’enfants dans mes livres jusqu’à Bienvenue au club. L’unique enfant apparaissant dans Testament à l’anglaise est Josephine Winshaw, la fille d’Hilary, ce qui ne me laissait pas d’autre choix que d’en faire un personnage important de Numéro 11. Toutefois, l’influence des Winshaw est bien présente même si c’est de façon indirecte, à travers par exemple le portrait d’Henry Winshaw accroché dans un des bâtiments de l’université d’Oxford, ou bien à travers les souvenirs d’un personnage qui a travaillé dans la banque de Thomas Winshaw. Aux États-Unis, Testament à l’anglaise s’intitule The Winshaw Legacy (L’Héritage des Winshaw) et ça aurait aussi pu être un très bon titre pour Numéro 11.

Peut-on considérer la fin du roman comme un happy end ?
Il y a de l’optimisme dans mon roman, mais on le trouve davantage dans les relations humaines que dans les analyses politiques. Si l’on résume le livre, c’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes filles, Alison et Rachel, sur une période d’environ douze ans. À la fin du roman, après divers conflits et épreuves, leur amitié est la seule chose qui perdure — avec le prunier du jardin des grands-parents de Rachel. C’était important pour moi de laisser le lecteur sur cette idée : malgré tout ce qui ne va pas dans le monde en ce moment, il y a certaines qualités humaines naturelles qui survivent, donc il ne faut pas désespérer.

Entretien réalisé avec Jonathan Coe à l'occasion de la parution de Numéro 11 et traduit de l’anglais par Marine Vauchère.

© Gallimard.