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Billy Wilder et moi de Jonathan Coe. Entretien

« Ce fut ma première image, et ma première impression, de M. Wilder. Il portait également des lunettes à verres épais, et malgré son air abattu, ses yeux ne purent s’empêcher de s’illuminer derrière ces lunettes et de pétiller d’amusement en nous voyant approcher de la table, Gill et moi, avec nos tee-shirts minables et nos shorts en jean effilochés. Cet amusement était franc, non dissimulé et assez mortifiant, mais je n’y décelai nulle méchanceté. Il voyait cela comme une situation comique, et la savourait comme telle. »

Qui est le « moi » du titre ? La narratrice ou vous-même ?

Les deux, bien sûr. Même si je dois reconnaître que ma narratrice (Calista) a pris de l’importance, et une place de plus en plus grande dans mon imagination, à mesure que j’écrivais le livre. Au départ, l’idée était d’écrire un roman sous forme de méditation tout à fait personnelle au sujet de ma propre relation avec les films de Billy Wilder ; mais j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à son amitié fictionnelle avec cette Grecque à la fois naïve et curieuse.

Au-delà de votre admiration pour Billy Wilder et ses films, le considérez-vous comme un maître, tout au moins une source d’inspiration, pour votre travail, au-delà de ce roman en particulier ?

Je dirais qu’aucun artiste narratif du xxe siècle n’a eu autant d’influence sur moi. Je considère La Garçonnière comme son chef d’œuvre, et il y a des passages de ce film où l’architecture narrative, la tournure du récit, atteint une telle grâce et une telle élégance que j’étais pratiquement ému aux larmes en le voyant pour la première fois. Il écrivait merveilleusement les dialogues, bien sûr, mais son talent principal, c’était la structure. Or il y a encore beaucoup d’écrivains qui n’ont pas conscience du rôle essentiel de la structure dans la composition d’un roman, et des émotions profondes qu’elle est capable de déclencher chez les lecteurs.

L’essentiel du chapitre « Munich » prend la forme d’un scénario. S’agissait-il de relever un défi stylistique ? De montrer la concision dont le cinéma est capable pour raconter une vie ? De souligner la proximité entre l’écriture littéraire et l’écriture cinématographique ?

Autrefois, je planifiais méticuleusement à l’avance tous les aspects de mes romans, mais récemment, j’ai tenté d’être plus spontané. La plupart des scènes comiques du Cœur de l’Angleterre, par exemple, n’étaient pas du tout prévues ainsi. Dans ce roman, je savais que je narrais l’histoire du point de vue de Calista, qui est très jeune. Je savais aussi que j’avais envie de raconter la manière dont Billy Wilder a fui l’Allemagne nazie, dans les années 1930. Dans un coin de ma tête, je me demandais comment j’allais bien pouvoir m’y prendre, mais j’écartais toujours cette question, en me disant qu’une idée me viendrait. Et puis le moment est venu de raconter cette partie de l’histoire, et je ne voyais pas du tout comment faire ça par la voix de Calista. Et d’un seul coup je me suis dit : « Et si j’essayais d’écrire une ou deux scènes sous forme de scénario, et de voir ce que ça donne ? » Soixante pages plus tard, j’étais toujours en train d’écrire sous cette forme…

Quand Iz Diamond déclare : « Je sais que techniquement, l’Angleterre appartient à l’Europe, mais… l’Angleterre est à part, vous voyez ? », est-ce un regret, un espoir, ou une pointe d’humour noir ?

Dans le contexte du roman, c’est une simple boutade, mais je n’ai pas pu résister à la mettre, parce que ces cinq dernières années m’ont fait comprendre à quel point l’Angleterre est un endroit unique et bizarre. Ça fait des siècles que nous sommes fascinés par la figure de l’« Anglais excentrique » sans la prendre au sérieux, mais voilà que désormais les excentriques se sont emparés du pays. Quoi de plus excentrique (et de plus pervers) que le Brexit ?

Propos traduits par Marguerite Capelle

Jonathan Coe est né en 1961 à Birmingham. Après des études à Trinity College (Cambridge) et un doctorat à l’université de Warwick, il devient professeur de littérature. Son roman Testament à l’anglaise le propulse sur la scène internationale. En 1998, il reçoit le prix Médicis étranger pour La Maison du sommeil.

Entretien réalisé avec Jonathan Coe à l'occasion de la parution de Billy Wilder et moi.

© Gallimard