Belle d'amour de Franz-Olivier Giesbert. Entretien
«Au cours de ses recherches, un historien découvre l’existence d’une certaine Tiphanie Marvejols, alias Belle d’amour, qui avait accompagné Saint Louis lors de ses deux croisades. Il nous raconte son histoire sous la dictée du fantôme de la jeune femme.
Livrée à elle-même après l’assassinat de ses parents, Tiphanie décide de répondre à l’appel des Croisés et s’embarque pour la Terre sainte. Mais la croisade ne ressemble pas à la chanson entendue en France : harcèlements quotidiens de la part des Musulmans, batailles perdues, prisonniers innombrables, épidémies… Sans compter ceux qui voudraient voir en Belle d’amour la plus terrible sorcière…»
Le roman alterne deux époques : le règne de Saint Louis et le Marseille contemporain…
La véritable histoire des croisades est en résonnance totale avec les événements actuels au Proche-Orient et en France. Sans cette référence à notre époque, il me semblait difficile de faire comprendre exactement ce que je voulais raconter. Il y a une continuité assez naturelle entre ces deux époques. Cette double temporalité me permet aussi d’éviter les anachronismes. Il ne faut pas lire le passé à travers la grille du présent, ni se limiter au passé en oubliant le présent. Les séquences situées dans le présent me permettent d’exprimer mes sentiments.
Cela dit, Belle d’amour est avant tout un roman d’aventures…
Sur un fond historique solide, c’est l’histoire d’une femme, des amours d’une femme, dans un contexte où la religion joue un rôle très important. Les croisades sont une époque étrange où l’on bascule dans le merveilleux, où l’on voit les riches et les puissants tout abandonner pour se lancer dans cette guerre lointaine. Tiphanie, qui parvient à intégrer la suite du sénéchal de Joinville, le plus proche ami de Saint Louis, va vivre intensément cette aventure.
Ce qui nous vaut un portrait inattendu de Saint Louis…
Effectivement, le roi se comporte de manière assez énigmatique. Quand il part pour sa première croisade — en réalité la septième et avant-dernière — il n’y va pas en conquérant. Est-il pusillanime ou un peu passif ? Je dirais presque « suicidaire » : alors que tout est perdu, il languit plusieurs années à Saint-Jean d’Acre, où il s’épuise, plutôt que de rentrer au plus vite en France. La dernière croisade sera désastreuse : il se lance avec une petite armée, il est déjà malade au moment du départ, son objectif de s’implanter en Tunisie pour reconquérir l’Orient est tellement aléatoire que même le fidèle Joinville refuse de l’accompagner. On connaît la suite, avec la mort du roi, victime du typhus.
Le roman donne aussi un coup de projecteur sur des hérésies et des sectes méconnues…
Tiphanie est fille d’hérétiques, elle rencontre au cours de ses aventures le Vieux de la montagne qui dirige la fameuse secte des Assassins… Cela me permet de poser un regard sur les conflits permanents entre les variantes du christianisme ou celles de l’islam, que l’on réduit toujours à l’opposition entre chiites et sunnites. J’essaie d’étaler toutes les pièces du dossier, parce qu’il n’y a pas de vérité monolithique. Le monde ne se sépare pas entre gentils et méchants, comme notre époque a trop tendance à le faire. Par exemple, c’est un contresens hallucinant que de présenter la secte des Assassins comme les ancêtres de Daesh. Ils faisaient chanter les grands de ce monde en les menaçant de mort s’ils ne payaient pas, mais ne s’en prenaient jamais au peuple. Quel rapport avec le terrorisme aveugle ?
On sent votre bonheur de jongler avec les mots de la langue médiévale…
Des mots extraordinaires, parfois compliqués, mais tellement beaux ! Comme « afistolures » pour « railleries » ou « mirliflore » pour « vantard »… Ce jeu avec la langue du Moyen Âge est selon moi une manière de divertir, mais aussi de perturber les choses. Faire revivre une autre langue, c’est aussi une façon de casser les codes et les clichés, de briser les vérités toutes faites.
Entretien réalisé à l'occasion de la parution de Belle d'amour.
© Gallimard