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Divine Jacqueline de Dominique Bona. Entretien

« Son apparition est même un des moments forts de cette performance en plein ciel. Son nom ? Jacqueline de Ribes. […] Ce soir, traitée à l’égal des plus grandes sur l’Empire State Building, elle vit une consécration. Les Américains, qui aiment admirer, ont beau s’interroger, ils ont tout de suite reconnu une idole. Et moi, perdue dans la foule, moi qui savais que cette pharaonne était la dernière reine de Paris, la survivante d’un monde à jamais disparu, j’ai voulu découvrir son histoire. Quelle femme, avec ses contradictions et son mystère, cachaient ce mirage éphémère, cette hallucination
d’un soir ? »

Si l’on peut dire de quelqu’un que les fées se sont penchées sur son berceau, c’est bien Jacqueline de Ribes…

Elle vient au monde avec toutes les chances : la beauté, le nom, la fortune… C’est une privilégiée de la vie, mais elle n’a pas voulu en rester là. Elle s’est dit : «C’est magnifique, mais ce n’est pas assez.» Elle a eu l’impression qu’elle devait créer quelque chose de personnel avec tous ces dons. C’est cela qui m’a intéressée.

Elle apparaît tour à tour proustienne et contemporaine…

C’est une femme à plusieurs facettes. Proustienne, oui, dans la mesure où elle appartient à un monde disparu, qui ressemble à un rêve, tout comme celui de La Recherche. Son monde était celui de la jet-set, qui a perduré jusqu’aux années 1980. Cette société privilégiée, internationale, mélange d’aristocratie et de gens fortunés, avait le goût des fêtes. Ces fêtes pour éblouir, plus que pour s’amuser, répondaient à une esthétique, à un certain art de vivre. Elles n’avaient aucun but publicitaire ou commercial, comme plutôt le cas aujourd’hui. Jacqueline de Ribes est à la fois un personnage d’un passé proche et une femme très contemporaine par sa volonté d'affirmer sa personnalité, de prendre en main son destin. Elle aurait pu, si elle n’était pas née dans une famille où les femmes étaient vouées au foyer, devenir chef d’entreprise. Elle en possède toutes les qualités.

Elle a su tisser des liens étroits avec les plus grands photographes pour construire son image…

Jacqueline de Ribes a très tôt intéressé et même fasciné les photographes. Elle a été pour eux un modèle inépuisable et une source d'inspiration. Il y a des centaines de photographies d’elle, toutes signées des plus grands artistes : Richard Avedon, Cecil Beaton, Robert Doisneau, Gisèle Freund, Jean-Loup Sie , Horst P. Horst…

Mais qui est-elle derrière cette image ?

Ce nom, cette silhouette prodigieusement élégante, cette photogénie cachent la femme plus qu’ils ne la révèlent. Le papier glacé des magazines fige et isole. Je me suis simplement interrogée. Comment s’est construite Jacqueline de Ribes ? Comment a-t-elle inventé son style, puis fait de ce style un art ? Et quel genre d’artiste est-elle, cette femme du monde au visage énigmatique ? J’ai tenté de résoudre l’énigme.

C’est aussi la première fois que vous rédigez la biographie d’un personnage vivant…

J’ai toujours rêvé la confrontation du personnage avec son biographe. La plupart du temps, elle ne peut se produire qu’à travers archives ou documents. Romain Gary, Berthe Morisot ou Colette ne pouvaient engager d’autre dialogue avec moi que par l’entremise de leur œuvre ou des témoignages portés sur leur vie défunte. Jacqueline de Ribes est bien vivante et m’a raconté la sienne. Elle a répondu à toutes mes questions. Elle m’a aussi permis de consulter ses archives qui forment un trésor exceptionnel, complètement inédit. Mais il y avait une condition à ce livre : que je puisse l’écrire en toute liberté. Elle ne s’est pas immiscée dans le récit, elle a accepté la mise à distance indispensable et, suprême élégance, de ne lire mon livre qu’à sa sortie en librairie. Un biographe peut avoir bien des défauts mais il se doit d’être honnête, donc parfaitement libre de s’exprimer. Cette liberté, c’est aussi une des clefs de son personnage.

Dominique Bona a publié cinq romans et de nombreuses biographies, dont celles de Berthe Morisot, Camille Claudel, Colette, Clara Malraux, Romain Gary. Elle a été élue à l’Académie française en 2013.

Entretien réalisé avec Dominique Bona à l'occasion de la parution de Divine Jacqueline.

© Gallimard