Le mystère Henri Pick de David Foenkinos. Entretien
« Quel est l’intérêt d’entreposer des livres dont personne ne veut ?
– C’est une idée américaine.
– Et alors ?
– C’est en hommage à Brautigan.
– Qui ça ?
– Brautigan. Vous n’avez pas lu Un privé à Babylone ?
– Non. Peu importe, c’est une idée bizarre. Et en plus, vous voulez vraiment qu’ils viennent déposer leurs livres ici ? On va se taper tous les psychopathes de la région. Les écrivains sont dingues, tout le monde le sait. Et ceux qui ne sont pas publiés, ça doit être encore pire. »
Le point de départ est, au sens strict, extrêmement littéraire…
L’idée m’est venue en lisant L’avortement de Brautigan : le héros y tient une bibliothèque particulière, une bibliothèque qui accueille tous les livres que personne ne veut publier. Une sorte de refuge pour orphelins de l’édition. Et on y trouve toutes sortes de textes improbables. Cette bibliothèque a même été réellement créée aux USA par la suite. J’ai alors pensé à une réplique française, et c’est là que serait découvert un manuscrit extraordinaire…
Au passage, quelles sont vos affinités avec Brautigan ?
J’aime bien Brautigan, mais parmi les auteurs américains, je suis surtout un grand lecteur de Philip Roth.
S’agit-il d’un roman autour du livre et de l’édition ?
Le milieu de l’édition est une toile de fond. Ce qui m’intéresse est davantage le récit humain. L’auteur du livre retrouvé a écrit dans le plus grand secret. Qui était-il ? Quand a-t-il écrit son livre ? L’histoire de Vivian Maier, la baby-sitter dont on a découvert après sa mort les photos extraordinaires, m’a inspiré. Cette façon de mener une œuvre dans le plus grand secret. Et j’ai voulu écrire ce livre comme une enquête sur cet homme qui bascule à un moment : est-il vraiment l’auteur ?
Dans ce roman se croisent personnages de fiction et personnages réels sous leurs vrais noms. Clin d’œil aux initiés ou envie de dévoiler les coulisses de l’édition ?
Pour moi, il n’y a pas vraiment de clins d’œil aux initiés. Ce n’est pas un roman à clé. On peut l’apprécier sans connaître les personnes citées. Le livre n’aurait pas eu la même vérité avec une maison d’édition inventée. Et c’est vrai qu’il y a un aspect du roman qui parle des coulisses de l’édition, notamment du travail des représentants. Puisque mon roman est aussi l’histoire de l’incroyable succès du manuscrit retrouvé dans la bibliothèque des livres refusés.
Que pensez-vous du fait que le « roman autour du roman » soit souvent plus excitant que le roman lui-même ? N’est-ce pas la porte ouverte à toutes les impostures ?
C’est notre époque qui veut ça. Et j’ai voulu en parler. De la supériorité de la forme sur le fond. Mais cela a toujours existé. On aime l’histoire derrière une œuvre. Je cite dans mon livre les exemples de romans qui ont marqué l’histoire aussi à cause du destin de leur auteur, comme La conjuration des imbéciles. Ce n’est pas forcément une question d’imposture, c’est l’artifice autour des œuvres.
Dans sa construction, le roman évoque souvent le vaudeville…
J’ai voulu que la découverte de ce manuscrit ait des conséquences sur la vie de nombreux personnages. C’est vrai que leurs routes se croisent, s’entremêlent, pour la bonne raison que tous ont un lien avec le livre retrouvé. J’aime cette idée de la vie modifiée par le destin d’une œuvre. J’ai voulu le livre ludique, animé par une sorte d’incertitude permanente.
Les personnages principaux sont sympathiques malgré leurs défauts et leurs maladresses, on a le sentiment que vous avez eu du mal à écrire le mot « fin »…
Je me suis attaché à certains, notamment à Rouche, le journaliste qui enquête sur cette histoire. C’est un homme antipathique et arrogant qui progressivement perd son aura et sa confiance. Et il renoue avec la vie sociale d’une manière balbutiante ; il semble toujours un peu étonné de vivre ce qu’il vit. Mais cela n’appelle pas une suite, puisque ce roman est tout de même une sorte d’enquête avec une révélation finale.
Entretien réalisé avec David Foenkinos à l’occasion de la parution du Mystère Henri Pick.
© Gallimard