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Les Ruines du ciel, de Christian Bobin. Entretien

Rencontre avec Christian Bobin, à l'occasion de la parution des Ruines du ciel en octobre 2009.

Pourquoi avoir choisi l’aventure glorieuse et spirituelle de Port-Royal comme «fil rouge» du livre, en contrepoint à des notations très contemporaines ?

Christian Bobin — Aujourd’hui, il y a tellement d’images partout que nous en devenons aveugles. J’ai trouvé un chandelier dans la chapelle de Port-Royal. Il m’a semblé qu’il pouvait éclairer la nuit où nous vivons. Qu’est-ce que Port-Royal ? C’est une poignée d’hommes et de femmes qui ne se laissent pas éblouir par le roi soleil, qui préfèrent la course des nuages à celle des honneurs. Ils pensent qu’il y a autre chose dans la vie que l’argent, la gloire ou la puissance. Ils parient sur cette autre chose. Leur entêtement enfantin peut nous aider à vivre aujourd’hui. D’ailleurs ils ne sont pas si loin de nous : Versailles à l’époque de Port-Royal est une centrale où s’élaborent les images et les coutumes qui vont irradier le pays tout entier. Les jansénistes luttent contre l’opulence de ces images. Ils lui opposent les murs blanchis de leurs cellules et l’insouciance profonde de leur propre sort. Ce qui a été vivant une fois ne meurt jamais. Pascal et Racine ont aiguisé le couteau de leur parole sur la meule de Port-Royal. La meule fonctionne toujours, on peut y aiguiser nos yeux pour regarder notre monde. L’allégresse des gens de Port-Royal à n’écouter que leur âme vagabonde, je la reconnais aujourd’hui dans la royauté d’un pissenlit, dans l’ouverture d’un visage aimant, ou dans le silence lumineux des livres.

Écrire et lire ont-ils pour vous un sens «religieux» ?

Christian Bobin — Je parlerais plutôt de résistance. Les livres écrits par les gens de Port-Royal sont innombrables : ils savaient que l’écriture construit les seuls palais durables. Les livres sont un acquis, une montagne dans laquelle se réfugier quand la plaine est inondée par un torrent d’images. Contrairement à la doxa je suis très espérant dans l’avenir du livre. Quelqu’un arrive en toute confiance, se remet entre vos mains, tourne vers vous son visage de papier et vous dit comment il voit la vie : cette figure-là est éternelle. Nous aurons de plus en plus besoin de l’humain et rien n’est plus humain que l’écriture. Un livre c’est aussi indestructible qu’un brin d’herbe.

Vous évoquez la musique comme une toilette de l’âme…

Christian Bobin — Quand j’écoute Bach – qui déménage sans s’essouffler son clavecin d’une page à l’autre dans ce livre – je prends l’air, je connais le sacre du vent contre mes joues, je suis ébloui par une vie à la fois imprévue et construite. C’est pour moi un modèle d’écriture : quelque chose qui reste près de sa source et qui ne cesse pourtant de varier.

Ne pourrait-on, pour vous qui refusez tous les genres, inventer un genre qui serait le «bréviaire émerveillé» ?

Christian Bobin — Disons que, de livre en livre, j’essaie d’aménager ce qu’on appelle un jardin de curé. Vous savez : une explosion silencieuse de roses, de pivoines et de lis, sans oublier les nécessaires herbes folles qui attrapent si joliment l’éphémère lumière du jour.

© Éditions Gallimard